Un palais pour les orphelins

Septembre 2023

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Les historiques des établissements catholiques, dans la France du XIXe siècle, font souvent part de la générosité de bienfaiteurs et fondateurs de tout milieu ayant contribué au développement de nombre d’œuvres éducatives. Voici le récit d’une prestigieuse fondation, celle de l’orphelinat Saint-Philippe de Fleury-Meudon (92), qui illustre, dans sa démesure même, la fin d’une époque, et dans sa visée sociale, le début d’un long engagement porté par les institutions chrétiennes.

Œuvres philanthropiques

Il aura fallu 11 années de travaux considérables (1877-1888) pour faire surgir sur la colline de Meudon, deux ensembles architecturaux monumentaux destinés,

  • l’un à accueillir des Frères des Écoles chrétiennes retraités, la Maison Saint-Paul,
  • et l’autre des enfants orphelins encadrés par les Frères, l’Orphelinat Saint-Philippe, sur une même propriété de 14 hectares devenue l’actuel campus éducatif géré depuis 1946 par la Fondation des Apprentis d’Auteuil.

L’initiative en revient à la duchesse Maria Brignole de Galliera (1811-1888) qui a créé la fondation Brignole Galliera (1877-2009) pour gérer durablement cette œuvre, qu’en fervente chrétienne elle confie à des congrégations religieuses.

La duchesse Brignole de Galliera
Luigi Raffaele de Ferrari

L’œuvre de la Fondation inclus par ailleurs un hospice pour gens de maison, construit parallèlement (1877-1888), à proximité, mais sur la commune de Clamart : l’actuelle Maison de retraite Ferrari, du nom de son mari le riche homme d’affaire Luigi Raffaele de Ferrari (1803-1876), confiée aux Filles de la Sagesse entre 1888 et 1965, et désormais gérée par l’ordre de Malte. Son architecte, Léon Ginain (1825-1898), mène alors un autre chantier (1878-1894) en vue d’édifier dans le même style renaissance italienne un palais muséal connu depuis comme le palais Galliera, actuel musée de la mode de la ville de Paris. 

Façade de la maison Ferrari
Stèle de Brignole-Sales Galliera

Il ne s’agit là que de la part spectaculaire d’un programme de mécénat hors du commun, proportionné à une fortune considérable accumulée au fil de l’essor économique que connait l’Europe à cette époque (réseau ferroviaire, banque, immobilier).
Affectée par le deuil de son mari et de deux de ses trois enfants - dont le dernier renonce au titre - sachant sa lignée désormais sans héritiers, la duchesse de Galliera va consacrer les onze dernières années de sa vie à transmettre ses biens dans des œuvres sociales et culturelles à Paris, sa ville d’adoption, et à Gênes, sa ville natale.

Musée Galliera

Un chantier « pharaonique »

Sollicitée par les Frères qui évoquent un projet de maison de retraite dans la campagne de Fleury-Meudon, la duchesse de Galliera saisit l’occasion d’y associer son projet d’établir un orphelinat… qui pourra alors être confié aux Frères.
Elle acquiert le terrain cédé par la marquise de Plessis-Bellière, et confie le projet à l’architecte Eugène Conchon (1864-1918) en vue d’édifier ce qui doit être selon la volonté de la duchesse, un « palais pour les orphelins »
Il s’agit alors de construire, dans le style néo-gothique de l’époque,

  • une structure d’hospice aux allures de monastère, avec communs et chapelle, pouvant accueillir 100 pensionnaires religieux âgés
  • et un pensionnat aux proportions grandioses destinés à l’éducation de 300 enfants.

Les deux ensembles architecturaux sont intégrés dans le même parc paysager, aménagé pour l’école d’horticulture qui permet de poursuivre le parcours éducatif après le primaire.

Les deux bâtiments

Contemporains du chantier de la basilique du Sacré-Cœur de Paris, les travaux commencés en 1877 en présentent quelques traits communs :
- travaux de terrassements colossaux pour établir une vaste terrasse à flanc d’une colline instable,
- infrastructures hors normes, 
- utilisation de la pierre de Château-Landon à la célèbre blancheur,
- vue panoramique sur l’agglomération parisienne depuis ses 157 m d’altitude.

L’infrastructure hydraulique nécessaire à l’ensemble immobilier et son bassin de natation demande l’établissement d’une usine de pompage et d’un vaste château d’eau.

Le tout est inauguré en novembre 1888. La duchesse de Galliera, cette grande dame au grand cœur, aura juste eu le temps de saluer l’arrivée des premiers orphelins, puisqu’elle décède un mois plus tard. 

Au temps des Frères

C’est sous son autorité que le partenariat entre la fondation Galliera et l’Institut est établi en 1878, garantissant le fonctionnement des deux maisons de Fleury-Meudon. Le projet va voir son élan brisé temporairement par les lois d’expulsion des religieux chassant les Frères en 1906, puis par des difficultés financières de plus en plus problématiques, liées à l’effondrement après-guerre des économies de rente et à des malversations diverses.

► La maison Saint-Paul accueillera les Frères retraités et malades entre 1888 et septembre 1934. À partir de 1938, la maison est louée durant 13 ans par les sœurs bénédictines de l’abbaye Saint-Louis du Temple qui y attendent la fin des travaux de leur maison de Limon situé à Vauhallan (91) où elles emménagent en novembre 1951. La fondation des Apprentis d’Auteuil reprend la gestion du bâtiment début 1952.

Maison Saint-Paul

► L’orphelinat Saint-Philippe, qui regroupe école primaire, internat et école horticole, est confié à la gestion des Frères entre 1888 et 1906.

Cette première période lasallienne est animée par un Frère directeur à la personnalité marquante, celle du Frère Jules Petit (1845-1911) venue de Saint-Nicolas de Vaugirard, où, dit sa notice, il a acquis une solide connaissance du profil de « l’enfant de Paris ».

Une communauté éducative de 15 à 20 Frères accueille alors des enfants sélectionnés par la fondation Galliera au vu de leur situation familiale. Ils y suivent une scolarité du primaire dans cette ambiance d’émulation collective propre aux Frères, rythmée par les activités sportives, artistiques et musicales, les leçons de catéchisme et les offices, le tout porté par une structure de vie d’internat au confort peu banal dans un site exceptionnel. De cette expérience vécue par les premières promotions va naître une amicale des Anciens, consolidée par la mémoire des disparus de la Grande Guerre, particulièrement active jusqu’à nos jours.

L’expulsion des Frères entraîne la fermeture de l’orphelinat et le retour des jeunes dans leur famille, ou leur orientation vers les établissements de Vaugirard, Igny, Issy-les-Moulineaux ou Vaujours. 

Des jeunes de l'orphelinat
Des jeunes avec un brassard
Les enfants de l'orphelinat
Un dortoir
Le bassin de natation
Un  réfectoire

► L’école d’horticulture, attenante à la maison de retraite, accueille de grands élèves externes ou internes, issus ou non de l’orphelinat.

Du personnel laïque prend la suite en 1908, après deux années de fermeture. Puis la maison est transformée en hôpital militaire durant la Grande Guerre ; on y retrouve les Filles de la Sagesse. 
L’orphelinat rouvre progressivement à partir de 1919. Les Frères reprennent l’œuvre entre 1928 et 1937. Les difficultés financières sont croissantes à partir des années 1930.

Confrontés au manque de personnel qui se manifeste déjà à cette période, les Frères ne pourront stabiliser leur retour dans les lieux en 1928 et ils quittent définitivement l’œuvre de Fleury-Meudon en 1937. Ils passent la main aux Pères spiritains qui tentent de redresser la situation entre 1937 et 1939.  Puis la congrégation des Pères salésiens s’y essaye entre 1940 et 1946. La Fondation des Apprentis d’Auteuil reprend la gestion en août 1946, et en 1952, la Fondation Galliera lui transfère la propriété de l’ensemble.

Équipe éducative de l'orphelinat
Campus Saint-Philippe

La faillite financière rapide et inattendue de la Fondation Brignole-Galliera a contraint, sans l’empêcher, la poursuite du projet éducatif et social imaginé et lancé il y a 130 ans par la duchesse de Galliera. L’Église, appuyée par les congrégations religieuses, a fait son possible pour sauvegarder, jusqu’à ce jour, une réponse évangélique et éducative à un enjeu social majeur qui traverse les époques.

Bruno Mellet