Llensa de Gelcen décrit ainsi les premières années de vie religieuse du
Frère Sennen et son intérêt croissant pour la
botanique :
« D’après les attestations faites par un de ses confrères, qui l’a connu tout jeune, il semble
bien qu’on doive faire remonter à l’époque de son enfance l’attrait particulier qu’il
manifestait pour les plantes et l’éveil d’une passion scientifique que,
plus tard, les promenades du jeune maître ne feront qu’accroître. Pour connaître le nom des
plantes qu’il avait ramassées un peu partout dans l’Aveyron, il se rendait au Pensionnat des
Frères de Béziers ; là il consultait la Flore de Barrandon et ce qu’on appelait, avec une
pointe d’exagération sans doute, le "grand herbier", œuvre de deux professeurs : les Frères
Lange et Timoteus »
(1).
Étienne-Marcellin
Granié est né le 13 juillet 1861 à Moussac, commune de Coupiac
(Aveyron).
Il est rentré à l’âge de 14 ans (1875) au Petit-Noviciat de Fonseranes (Béziers). Au Noviciat,
il reçut le nom de Frère Sennen.
Il est décédé le 16 janvier 1937, à l’âge de 75 ans à la maison des Frères des Écoles chrétiennes
de Saint-Louis-La-Calade, à Marseille.
Avec précision, la notice nécrologique rapporte : « Servi par une vive intelligence, une étonnante finesse et une longue patience dans l’observation d’un type ou d’un phénomène, comme aussi par une robuste constitution qui méprisait la fatigue, notre confrère se trouvait excellemment doué pour herboriser avec méthode et profit. C’est à Béziers qu’il commença ses récoltes… » (2).
Le 1er mars 1937, le journal La Croix publiait un article intitulé :
« Un savant botaniste, le Frère Sennen ».
Après avoir mentionné les débuts de l’enseignement du Frère Sennen à Béziers où « il multiplia ses recherches et ses herborisations », le journaliste écrit que Frère Sennen se mit alors en relation avec les auteurs de la Flore de Montpellier, Loret et Barrandon, puis avec Jules Daveau, conservateur du jardin des plantes de l’Université de Montpellier (3). Il ne mentionne pas les relations avec Charles Flahault, ni avec Frère Héribaud-Joseph, dans les années 1890, mais il souligne la collaboration avec le chanoine Coste (4) .
« Reconnaissant les mérites personnels du Frère Sennen, la Société botanique
de France l’admet dans son sein en 1894, d’abord comme simple membre actif, comme membre
honoraire ensuite. Plus tard, même, il sera élu vice-président de cette société, après le vote
unanime des membres, et recevra, en récompense de ses nombreux travaux, le prix de Coincy »
(5).
De même, le journaliste de La Croix écrit au sujet de ces années 1890 : « Cette période de
la vie du Frère Sennen fut décisive ; il fréquenta alors le regretté chanoine Coste ; en sa compagnie,
il multiplia les herborisations, recueillit de nombreux documents pour la rédaction de la
Flore de France illustrée. Dès cette époque, se révèlent chez lui une
constance, un coup d’œil et une sagacité remarquables… »
(6).
De 1875 à 1904, Frère Sennen a donc exploré la flore du Languedoc.
En conséquance de la loi de sécularisation de l'enseignement, le Frère Sennen dut quitter la France en 1904. Il fut d’abord envoyé enseigner au collège La Salle fondé par les Frères français à Figueras (Catalogne), puis au collège de la Bonanova à Barcelone (7). Il passera une trentaine d’années en Espagne (Catalogne) avant d’être chassé de Barcelone par la révolution espagnole de 1936.
Sa notice nécrologique se fait l’écho de ses collaborations avec la Société botanique de France, avec l’Université de Barcelone où il travailla et avec la Société espagnole d’Histoire naturelle ; il fut membre correspondant étranger de l’Académie des Sciences de Barcelone. Elle précise encore : « À partir de 1906, le C.F. Sennen rédigea sur ses excursions et ses travaux de botanique des rapports que des sociétés savantes publiaient dans leurs bulletins. Ses écrits sont d’un style simple, direct, avec une pointe d’humour et de poésie qui ajoute à la valeur de la partie purement scientifique. Ses persévérantes recherches et de nombreux échanges avec des botanistes de nationalités diverses lui permirent de constituer un volumineux herbier. (8).
Le Frère Sennen a surtout écrit des articles relatant ses herborisations dans le Bulletin de l’Institucio catalana d’historia natural ainsi que des notes sur la Flore espagnole. Il écrivit aussi dans le Bulletin de la Société botanique de France, dans le Bulletin de géographie botanique et dans le Bulletin de la Société aragonaise de Sciences naturelles. Il a composé un « exsiccata » critique et commenté de la Flore d’Espagne (9). - l’exsiccata étant une collection raisonnée des spécimens de plantes conservés dans un herbier.
La présence du Frère Sennen à Barcelone a donné lieu à une collaboration active avec Carlos Pau, considéré comme le meilleur spécialiste en phytogéographie de la péninsule hispanique, à cette époque. De cette collaboration naquit chez Sennen l’idée de « composer un vrai ‘exsiccata’, c'est-à-dire un grand ouvrage critique et commenté de la flore ibérique » (10). De fait, Frère Sennen devient rapidement collaborateur des grands botanistes espagnols et le traité Plantes d’Espagne, préparé dès l’année 1907, verra le jour à la fin des années 1920. Une autre œuvre à laquelle aboutira le travail systématique du Frère Sennen en Catalogne est un catalogue de 71 pages, le Catalogo del herbario barcelonès , paru à Barcelone en 1918 (11). Un supplément à ce catalogue fut publié en 1920 dans le Bulletin de l’Institucio catalana d’historia natural (12).
Avec ces herborisations répétées, Frère Sennen était évidemment un des meilleurs spécialistes des garrigues méditerranéennes, en son temps. Paul Marcelin, un géographe de cette époque, le cite dans une étude de la garrigue languedocienne (13).
Mais il ne faudrait pas imaginer que le Frère Sennen ait été seulement un expert de la systématique et des flores méditerranéennes, un observateur et un découvreur de nouvelles espèces. Il avait aussi une vision des transformations de ces flores par hybridation et il aurait perçu, mais de façon exagérée, l’importance et la généralité de ce phénomène d’hybridation, notamment dans le genre Cistus.
On ne trouve pas pour autant une théorie évolutionniste chez Frère Sennen, malgré l’importance
accordée aux phénomènes d’hybridation dans le monde végétal. Il fut essentiellement un
botaniste descriptif. Il a pratiqué la phytogéographie, mais il ne s’est occupé ni de
génétique, ni d’évolution. L’ensemble de son œuvre tient un peu du catalogue.
Le Frère Sennen eut des successeurs en Catalogne, notamment Raymond Malagarriga (Frère Teodoro-Luis),
qui travailla à l’Institut de Botanique de Barcelone et restaura son herbier, conservé au collège
de Figueras.
Frère Olivier Perru
Documents du mois déjà publiésDes plantes de la collecion du Frère Sennen dans l'herbier E. Maire de l'université de Montpellier