L’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes a le statut de congrégation légalement reconnue par l’État français depuis le 9 février 2000. Cette reconnaissance légale (R.L.) a eu une histoire mouvementée durant trois siècles.
Dans la jurisprudence française contemporaine, une congrégation est une association particulière constituée de personnes inspirées par une foi religieuse, s’engageant par vœux pour vivre communautairement sous une même règle, encadrées par une autorité hiérarchique et mettant en commun leurs activités en vue d’une œuvre traditionnellement considérée comme contemplative, enseignante, charitable ou missionnaire.
La R.L. est obtenue par décret pris en Conseil d’État après démarches auprès du ministère de l’Intérieur (bureau central des cultes). L’État exerce une tutelle formelle (liste des membres, comptes annuels, statuts) et intervient (autorisation administrative) à l’occasion d’opérations économiques d’un certain niveau. La R.L. donne à la congrégation la personnalité juridique permettant par exemple de gérer des biens temporels de plein droit, mais surtout d’être considérée comme un acteur social à part entière dans la société civile tout en bénéficiant d’une protection inscrite dans la loi.
À l’époque de la fondation de l’Institut, un édit de 1666 soumet toute création de communauté nouvelle à l’approbation royale. Des démarches sont effectuées dès 1713 en vue d’obtenir les « lettres patentes » donnant la capacité juridique à être propriétaire et à recevoir des dons et legs. Ces « lettres » sont nécessaires pour obtenir la « Bulle d’approbation » du Pape et légitimer ainsi l’Institut. Les deux démarches administratives sont conduites en parallèle entre 1721 et 1725.
Après plusieurs tentatives, il faut attendre le décès du Régent pour obtenir la reconnaissance royale le 28 septembre 1724, puis ecclésiale le 26 janvier 1725. Ces actes devant être enregistrés par les différents parlements régionaux (Normandie 1725, Paris, 1777, Toulouse 1778), les contentieux fiscaux resteront fréquents.
Arrive alors la période révolutionnaire et la persécution religieuse qui commence en octobre 1789 tout en épargnant dans un premier temps les congrégations séculières engagées dans des œuvres sociales utiles à la Nation. Ces congrégations seront néanmoins supprimées le 18 août 1792.
Si l’Institut n’existe plus en France, c’est en Italie qu’il subsiste, conduit par le Frère Frumence. L’Institut se reconstitue à Lyon grâce à la volonté de renaître des Frères dispersés en France (moins d’une centaine) et à l’entregent du cardinal Fesch, oncle de Napoléon. Même s’il n’existe pas de R.L. au sens « moderne », l’Institut invoquera quand nécessaire l’approbation par Bonaparte du rapport permettant aux « Frères de la Doctrine chrétienne de fixer leur établissement dans la ville de Lyon » datée du 02 décembre 1803. Mais surtout l’article 109 du décret du 17 mars 1808 organisant l’Université impériale en y agrégeant les Frères :
« les Frères des écoles chrétiennes seront brevetés et encouragés par le grand-maître, qui visera leurs statuts intérieurs, les admettra au serment, leur prescrira un habit particulier, et fera surveiller leurs écoles. Les supérieurs de ces congrégations pourront être membres de l’Université ».
Les Frères sont ainsi associés au projet napoléonien pour tenir des écoles et éduquer les enfants du peuple. Progressivement les Frères ouvrent des écoles au gré des demandes communales et des effectifs. Leur influence sociale et éducative est croissante malgré les changements de régimes conduisant les Frères à évoquer tantôt les « lettres patentes » tantôt le décret de 1808 pour défendre leur statut.
La république et ses changements de majorités aboutissent à une émancipation du service publique et à l’interdiction des congrégations enseignantes par la loi du 7 juillet 1904 dont l’article 6 stipule que l’article 109 « napoléonien » est abrogé. La loi du 1er juillet 1901 ayant déjà interdit aux congrégations de se constituer en association, de nouveau, l’Institut n’a plus d’existence légale en France.
Entre 1904 et 1914, la liquidation des biens est rapide. L’application de la loi est assez variable dans les colonies et protectorats où le rayonnement de la France est en jeu. Alors que doit être conclue la suppression de la congrégation ➀ la guerre est déclarée en août 1914. La dépêche « Malvy » adressée aux préfets informe alors de la suspension de l’application des lois de 1901 et 1904 : le pays a un autre front désormais.
À partir de 1920, les Frères reprennent progressivement pieds dans les écoles. La tentative de réactiver la loi de 1904 rencontre une forte opposition conduite entre autre par le regroupement des religieux anciens combattants ➁. Dans ces années 1920, un projet de reconnaissance d’un Institut Missionnaire des F.E.C. exclusivement consacré à « l’éducation de la jeunesse dans les colonies, les pays de protectorat et à l’étranger » est lancé et recueille l’appui de nombreux politiques qui en débattent dès 1922. Un projet de loi est émis par le gouvernement Poincaré et donne lieu à des débats parlementaires courant mars 1929 qui aboutissent au vote par l’Assemblée nationale. Le texte ne sera toujours pas soumis au vote du Sénat dont la majorité n’est pas favorable, quand arrive 1939 et d’autres priorités.
La loi du 3 septembre 1940 abroge la loi du 7 juillet 1904 : tout citoyen peut adhérer à une congrégation. Après tant d’années de précarité douloureuse, l’Institut s’engage alors dans une demande de reconnaissance légale auprès de l’État entre 1941 et 1944. Celle-ci est interrompue par la libération, mais l’Institut est considéré par les services des cultes comme en instance d’autorisation. La loi du 8 avril 1942 rendant licite le statut d’association religieuse, l’Institut sera considéré comme association de fait non-déclarée (avec une capacité juridique minimale). Cette loi est maintenue provisoirement après 1944 et ne deviendra définitive qu’en 1970 avec une directive du président Pompidou. Par ailleurs, la circulaire du 15 juin 1949, met en place la procédure de R.L. en maintenant les acquis de la loi de 1942.
En 1959, la loi Debré redonne un statut social clair aux Frères. Les réformes conciliaires qui se mettent en œuvre dans la congrégation simplifient les structures de gouvernement et les décentralisent ouvrant à de nouvelles réorganisations. Le poids des biens immeubles placés encore sous séquestre depuis 1904, devient un anachronisme. L’application des lois de 1966 puis de 1969 relatives à la réforme des sociétés immobilières – par lesquelles l’Église est propriétaire le plus souvent – incite alors les Frères à relancer une demande de R.L. pour solder le passé, simplifier la gestion immobilière et faire reconnaître un Institut français au rayonnement culturel encore conséquent. Entre 1966 et 1969, les échanges avec le service des cultes ➂ dans un climat instable (1968), s’arrêtent prudemment alors que, début 1969, le bureau présidentiel recommande de solder les contentieux immobiliers avant de s’engager dans une demande de R.L. !
Depuis décembre 1966, les Frères avaient créé le C.L.I.G.A. ➃ pour gérer les dossiers immobiliers complexes. Ils mettent en place une Fondation ➄ pour les biens immobiliers qui prend existence par le décret du 18 juin 1973. Parallèlement, les Frères continuent de mettre en place des structures associatives et syndicales plus centralisées pour assurer leur fonctionnement dans un cadre légal.
C’est riche de ces structures juridiques que les Frères s’engagent dans une ultime demande de R.L. en 1991, tandis que la « région France » crée une administration centrale de l'Institut en France. Déjà, environ 500 congrégations françaises sont reconnues dans les années 1990, ainsi que des associations de spiritualité bouddhiste. L’État fait alors pression pour supprimer les petites associations religieuses aux tendances sectaires.
Les débats dureront une dizaine d’années tandis que l’intérêt de la R.L. n’apparaît pas clairement pour un Institut qui a déjà des structures juridiques pour fonctionner. La reconnaissance comme corps par la Nation est sans doute le motif majeur pour un Institut marqué par son histoire. Elle est aussi une traduction sociale et juridique de son message éducatif et spirituel.
La reconnaissance légale a été obtenue le 9 février 2000.
Bruno Mellet
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