Au début de l’Institut des Frères, bien des jeunes maîtres s’épuisaient et mourraient jeunes de problèmes respiratoires : classes surchargées, locaux mal aérés, vains efforts de voix pour dominer une petite foule d’enfants qui ignoraient le silence et l’ordre à l’école.
La Conduite des écoles (ci-après : CE) – livre expliquant au maître comment faire la classe avec une meilleure économie de moyens – prend les choses dès l’entrée en classe : « Pendant que les écoliers s’assembleront et en entrant dans la classe, ils garderont tous un silence si rigoureux et si exact qu’on n’entende pas le moindre bruit même des pieds, en sorte qu’on ne puisse pas même distinguer ceux qui entrent, ni remarquer ceux qui étudient » déjà dans la salle de classe (CE 1,1,10).
Pendant la classe : « Le maître fera entendre [= comprendre] aux écoliers qu’il ne leur est permis de parler haut [= à voix haute] dans l’école, que dans trois temps, savoir :
* en disant leur leçon,
* au catéchisme [pour répondre aux questions du maître]
* et à la prière.
Le maître observera aussi lui-même une semblable règle et ne parlera haut que dans trois temps :
En effet,« il serait peu utile que le maître s’appliquât à faire garder le silence, s’il ne le gardait lui-même : il leur enseignera mieux cette pratique par exemple que par parole, et le silence même d’un maître produira plus que toute autre chose un très grand ordre dans l’école, en lui donnant moyen de veiller sur lui-même et sur les écoliers. Ç’a été pour cette raison qu’on a institué l’usage des signes dans les écoles chrétiennes » (CE 12,0,1-2).
Car si le maître doit parler le moins possible, il ne faut pas qu’il se prive de communiquer avec ses élèves. « Pour faire la plupart des signes qui sont en usage dans les écoles chrétiennes, on se servira d’un instrument nommé signal, qui sera fait en la forme suivante » (CE 12,0,4), qu’on voit sur une gravure dans les éditions postérieures à 1720.
La pression du pouce relève une languette de bois : dès qu’elle est libérée, l’élasticité du boyau de chat la fait frapper le corps cylindrique du “signal” avec un petit bruit nasillard caractéristique. Les élèves qui lèvent les yeux voient ce qu’indique le “signal” : par exemple, l’élève qui doit prendre la suite de celui qui lit à haute voix (CE 12,2,2), ou un poster au mur qui rappelle une règle de bonne conduite pendant que tout le monde fait ses exercices en silence (CE 12,6,3-4). Deux coups de suite : c’est pour une faute de lecture, et le lecteur doit relire correctement ; trois coups : c’est parce que le lecteur se trompe encore et qu’il faut quelqu’un qui lise à sa place ce qu’il n’a pas su lire (CE 12,2,3).
De cette façon, le silence de la classe n’est pas troublé, l’attention des élèves n’est pas dispersée et la gorge du maître continue de se reposer. Et comme il n’a pas de bureau, le maître n’a pas de règle à la main : excellent pour éviter des bruits forts ou même un geste violent.
Dans un enseignement qui est presque tout entier apprentissage de techniques (lecture, écriture, calcul, politesse), la maîtrise du geste est aussi importante que celle de la langue : quand chacun a un canif ouvert pour tailler sa plume d’oie, on voit les risques qu’entraînerait la moindre inattention. Le “signal” contribue efficacement au calme et à la concentration qui permet à chacun, maître et élève, de se concentrer sur son travail et de faire par là une expérience d’intériorité qui, souvent, le mène à l’attention à Dieu.
Cette pratiqiue a beaucoup étonné les contemporains : des enfants souvent bruyants et indisciplinés sont transformés en quelques jours. Et lorsque les Frères, arrivés au Brésil en 1908, commencent leurs classes, les maîtres des écoles voisines viennent bientôt voir comment ils obtiennent de tels résultats.
Frère Alain Houry