La lettre des principaux Frères à Mr de La Salle, le 1er avril 1714

Avril 2014

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Jean-Baptiste de La Salle avait été accusé en 1711 d’avoir utilisé sa position de prêtre et de Fondateur des Frères pour amener un jeune homme de 21 ans à acheter une maison à Saint-Denis (on dirait aujourd’hui : "abus de faiblesse"). C’est tout le contraire mais, sans avoir été écouté, il est condamné et menacé d’emprisonnement.

Dans le doute

Le voilà obligé de fuir précipitamment au début du Carême 1712 et, pensant que les Frères de Paris sont à la merci de « l’Ennemi » qui veut les séparer de lui, il refuse de communiquer avec eux.
Pendant 2 ans, il visite les communautés de Frères de la partie sud de la France.

Alternativement reçu comme un saint et accusé d’être incapable de diriger les Frères, il en vient à  se demander si c’est vraiment Dieu qui l’a conduit à consacrer sa vie à former les Frères et à s’associer avec eux pour l’éducation chrétienne des jeunes du monde populaire.
Ne vaudrait-il pas mieux, qu’à plus de 60 ans, il consacre ses dernières forces à la conversion de grands pécheurs ?

Une situation de crise

Pendant ce temps, le Frère Barthélemy, directeur du noviciat de Paris, doit faire face à l’absence de son Supérieur mais sans aucun mandat pour cela. Sur des conseils pernicieux, il demande aux évêchés des diocèses où sont implantés les Frères, de nommer un Supérieur ecclésiastique pour aider les Frères directeurs dans leur tâche. Celui qui a été nommé à Paris suggère aux Frères de Paris, Versailles et Saint-Denis de revoir leurs règles pour les faire approuver par l’Archevêque, le cardinal de Noailles.

Ces Frères, ayant fait ce travail sans concertation avec les Frères des autres diocèses, se rendent enfin compte qu’ils sont en train de mettre en marche la désagrégation de leur Institut : ils écrivent donc une lettre, le jour de Pâques 1714, pour demander – et commander – à Monsieur de La Salle, de revenir à Paris, de manière à reprendre ses fonctions de Supérieur des Frères.

Où était-il alors ?

Il est resté à Grenoble plusieurs mois, coupés par un séjour à Parménie où il rencontra Sœur Louise qui, comme la lettre, lui indiquait que la volonté de Dieu était qu’il continue à s’occuper des Frères.

Texte de Soeur Louise

On ne sait pas avec certitude si c’est à Grenoble ou plutôt à Parménie qu’il reçut cette lettre. D'après le Frère américain Leo Burkhard, restaurateur de Parménie, cette lettre avait sauvé l’Institut.

Cette lettre aura en partie le succès espéré par ses auteurs : Jean-Baptiste de La Salle revient à Paris, et le risque de fragmentation de l’Institut est conjuré ; mais Monsieur de La Salle incite les Frères à recourir au Frère Barthélemy et réussit, en 1717, à le faire élire, par les Frères, comme premier Frère Supérieur de l’Institut.

Désormais, les manœuvres de division ne mettront pas en cause l’existence même de l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes.
Cette lettre, inspirée par l’esprit que le Fondateur avait transmis aux Frères, est un témoignage à la fois de leur attachement à sa personne et de la perception de son charisme personnel.

L'hermitage de Parménie
L'hermitage de Parménie, au temps de Sœur Louise,
d'après un dessin à la plume.

Le texte de la lettre des principaux Frères

Monsieur notre très cher Père,


Nous principaux Frères des Écoles chrétiennes, ayant en vue la plus grande gloire de Dieu, le plus grand bien de l’Église et de notre Société, reconnaissons qu’il est d’une extrême conséquence que vous repreniez le soin et la conduite générale du saint œuvre de Dieu qui est aussi le vôtre, puisqu’il a plu au Seigneur de se servir de vous pour l’établir et le conduire depuis si longtemps.

Tout le monde est convaincu que Dieu vous a donné et vous donne les grâces et les talents nécessaires pour bien gouverner cette nouvelle Compagnie, qui est d’une si grande utilité à l’Église ; et c’est avec justice que nous rendons témoignage que vous l’avez toujours conduite avec beaucoup de succès et d’édification.

C’est pourquoi, Monsieur, nous vous prions très humblement, et vous ordonnons, au nom et de la part du corps de la Société, auquel vous avez promis obéissance, de revenir à Paris.

En foi de quoi nous avons signé.

Fait à Paris ce 1er avril 1714,

et nous sommes avec un très profond respect, Monsieur notre très cher Père, vos très humbles et très obéissants inférieurs, etc.

Une fois arrivé à Paris, Monsieur de La Salle refuse de reprendre son titre de Supérieur tant que les Frères du Sud ne donnent pas eux aussi leur accord à son retour. Alors, le Frère Barthélemy fait recopier la lettre pour la leur faire approuver et, au lieu d’écrire « de revenir à Paris », il précise : « de prendre incessamment soin du gouvernement général de notre Société ».

Frère Alain Houry

Lettre à Jean-Baptiste de La Salle

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