Rentrées lasalliennes à Bordeaux

Septembre 2025

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Bordeaux compte quatre écoles lasalliennes avant l’épisode révolutionnaire, une vingtaine dans les années 1870, et une quinzaine lors des expulsions de 1904. Le collège Sainte-Eulalie jusqu’en 1968, et le pensionnat Saint-Genès qui vient de célébrer ses 150 ans, sont les témoins contemporains d’une histoire commencée en 1758 dans le quartier des Chartrons (chartreux). Un faubourg de ce qui était alors une cité portuaire majeure en Europe, et qui devint par la suite capitale de la France, par intérim, à trois reprises.

Rentrée du 18 octobre 1758 aux Chartrons

(En  annexe : liste des écoles et communautés sous l'Ancien Régime)

« Au contraire de l'ironique Voltaire qui traduit "Yontains" (Frères de Saint-Yon près de Rouen, ndlr) par "ignorantins" dans son poème des "Grands chapeaux", au sens de maîtres ignorants, l'intendant de Guyenne demande en 1743 au Supérieur local des Frères en résidence à Toulouse, "quelques-uns de ses savants ignorantins" au sens de vainqueurs de l'ignorance ». 

À l’époque, la rentrée scolaire avait lieu aux environs d’octobre après les moissons. À la rentrée des classes du 18 octobre 1758, les Frères ouvrent trois écoles de quartier qui seront progressivement pourvues de deux classes chacune, l’une d’initiation (lecture, écriture, calcul) et l’autre de perfectionnement. L’éducation religieuse y est centrale, l’église paroissiale proche étant en quelque sorte une annexe pour l’apprentissage d’une pratique chrétienne quotidienne. 

Les Frères, qui viennent d’Avignon, ont été sollicités par les autorités locales (l’intendant de Guyenne est une sorte de préfet) à la suggestion de l’évêque de Bordeaux. Le modèle éducatif lasallien, fiable et structuré par une communauté religieuse à la réputation de sérieux, répond à l’attente de nombreuses collectivités attentives à élever le niveau d’éducation de la population et à en maitriser les débordements. 

Localisation des écoles en 1791

La municipalité de Bordeaux (appelée Jurade) prend en charge la question immobilière et la totalité du fonctionnement des écoles. Elle demeurera fidèle aux Frères par-delà les aléas politiques à venir.

  • La localisation, très fluctuante au cours du temps, des écoles de Frères dans une grande cité, est toujours une tâche à fort degré d’incertitude : les configurations des quartiers et des rues changent, les écoles - souvent de simples salles de classe - ouvrent et ferment des annexes dans des rues adjacentes au gré des besoins. La plus ancienne école lasallienne bordelaise est située par certains rue Flèche, par d’autres dans le périmètre incluant l’actuelle rue P. Berthelot (impasse Saint-Louis). L’origine est par nature inatteignable.
Le port de Bordeaux

L’installation des Frères dans la zone marécageuse des Chartrons ne va pas sans mal, et une partie de la communauté doit être délocalisée sur la paroisse de Sainte-Eulalie. Les historiques nous indiquent que deux Frères décèdent dans les années 1760 du fait de l’insalubrité du quartier. 

Des structures éducatives existent déjà pour les jeunes gens de classes aisées (Université vers 1450, collège jésuite vers 1570) et pour les jeunes filles (avec les Sœurs de Marie Notre-Dame dès 1607 par exemple). L’éducation de base des garçons est assurée comme souvent à cette époque par les personnels religieux ou laïcs (régents d’école) des paroisses ou autres collectivités qui tiennent des écoles dites « de charité » (enseignement gratuit pour les pauvres), par des maitres d’écoles privées d’initiative individuelle, et par les corporations plus ou moins organisées de « maîtres-écrivains » qui proposent des apprentissages payants.

À peine installés, les Frères vont devoir affronter ces instituteurs privés en place dont la corporation locale – sorte d’académie de calligraphes - va leur intenter un procès dès 1762 pour concurrence déloyale : les Frères n’auraient pas la qualification requise par la profession et accepteraient dans leur classe gratuite des élèves dont les familles auraient les moyens de payer leur apprentissage. Les statuts de ces corporations, validés par la Jurade depuis 1636, vise à préserver autant que possible un véritable monopole commercial dans la cité. Un procès est gagné, un autre est perdu, jusqu’à ce que l’autorisation soit donnée aux Frères, par le parlement de Guyenne, d’enseigner sans entraves en 1781. 

Il est dit que les maitres-écrivains quittèrent alors Bordeaux… pour y revenir vers 1791, voulant profiter de l’expulsion des Frères qui ont refusé de s’intégrer à la nouvelle église constitutionnelle. Une expulsion sous prétexte d’incivisme prononcée par des autorités locales plutôt embarrassées. Les Frères quittent alors Bordeaux pour retourner à Avignon... Peu de temps après, la congrégation et la corporation se voient toutes deux dissoutes par le vent révolutionnaire, comme la plupart des institutions nées sous l’Ancien Régime.

Rentrée du 2 février 1807 à Sainte-Eulalie

(En annexe : liste des écoles et communautés de 1806 à 1904)

Le retour de l’école chrétienne de garçons s’effectue à Bordeaux vers 1801-1802 avec deux laïcs, anciens militaires, qui associent leur ferveur pour ouvrir une classe rue des étuves (vers la cathédrale Saint-André). Ils sont riches tous deux de la Conduite des écoles, et autre Vade-mecum lasallien, que leur a transmis un Frère réfractaire. Tous deux sont accompagnés dans leur démarche par le père Chaminade (1761-1850), revenu d’exil depuis peu, avec un projet missionnaire pour son pays. Le jeu des relations amène nos deux pionniers au noviciat lasallien de Toulouse (l’un des deux est un ancien élève des Frères) où ils rejoindront la communauté début 1807. Deux Frères arrivent de Lyon pour ouvrir une école maison Sainte-Eulalie vers 1806-1807, entre autres à la suggestion du père Chaminade auprès des autorités concernées. 

Les ouvertures d’écoles au statut communal se succèdent ensuite : Saint-Michel, Saint-Nicolas, Saint-Seurin, etc. La municipalité fera appel également aux Frères maristes (1817) et aux Frères de Ploërmel (1819) tant les besoins en Frères enseignants vont s’avérer importants.

Implantation des écoles

Un essai de noviciat bordelais se met en place dans la mesure où des candidats se manifestent en nombre. Le chemin des Lasalliens se sépare peu à peu de celui du père Chaminade qui avait offert les locaux. Il se consacre à partir de 1808 à la fondation de ce qui va devenir la famille marianiste, et la société de Marie, fondée à Bordeaux en 1817. Le noviciat des Frères, lui, rejoint Toulouse en 1811.

Les ouvertures maillent les quartiers les plus dynamiques démographiquement et les écoles entament leur croissance passant du cours élémentaire, au cours professionnel (commerce, langue, dessin...) complémentaire avec sections apprentis et adultes, puis aux structures d’internat facilitant des développements préfigurant collèges et lycées, au rythme des lois scolaires de 1833 puis 1850 ou les anticipant. Au rythme également des lois anti-religieuses de 1880 puis 1904.

Théâtre et musique
Classe en 1941

Dans leur écosystème éducatif, les établissements lasalliens développent assez tôt des cours du soir pour jeunes adultes (dès 1850) ainsi que des amicales d’anciens élèves (dès les années 1860) destinées à soutenir les jeunes anciens dans leur entrée sur le marché du travail (mutuelle, caisse d’épargne, réseau). Des sociétés d’apprentis et des patronages se structurent et regroupent quelques milliers d’adhérents en 1863. Académies littéraires, fanfares, groupes de théâtre, congrégations de jeunes gens et psallettes (classes de chant) demeurent les lieux de socialisation traditionnels des écoles de Frères. 

Les psallettes (où l’on chante des psaumes) sont des classes de chant pour les enfants qui prennent diverses formes (depuis le XVe siècle) selon qu’elle s‘associent à des parcours scolaires propres ou non. On parle plutôt de Maîtrise lorsque la psallette est rattachée à une cathédrale et/ou qu’elle élargit l’apprentissage à l’action liturgique dans son ensemble. Les Frères vont associer école et paroisse via une dizaine de psallettes, par exemple à Sainte-Eulalie en 1843 ou à Sainte-Croix en 1857. Plus tard les Maîtrises de Saint-André (1869) et de Notre-Dame (1877) feront appel aux Lasalliens pour leur animation (jusqu’en 1904).

Tombe des Frères

La figure marquante de ce dynamisme éducatif et pastorale est celle du Frère Alphonse (Antoine-Guillaume Goudet, 1791-1876), nommé officiellement Directeur général des Écoles chrétiennes de Bordeaux en 1817, à l’interface avec la municipalité. Celui-ci œuvre ensuite comme Visiteur du district de Bordeaux de 1820 à 1876 (la maison Saint-Charles en étant le siège jusqu’en 1890 où il réside à Talence). Sa figure d’apôtre respecté et honoré, illustrée par une statue élevée par souscription, domine le caveau du cimetière de la Chartreuse où reposent les Frères (une soixantaine à ce jour) depuis 1859.

  • C’est à son initiative que des jeunes et des adultes incarcérés au pénitencier des enfants et à la prison départementale bénéficie pendant quelques années (1839-1857) des visites de Frères chargés de leur instruction.

Le réseau d’écoles et de communautés implantées dans tous les quartiers participe à l’animation de la ville tout particulièrement durant les fêtes religieuses, comme celles des octaves de Notre-Dame du Mont-Carmel et du Sacré-Cœur. La population assiste à des défilés en fanfare d’élèves en uniforme de congréganistes ou de communiants qui partent des différents secteurs, bannières au vent, pour des rassemblements à la cathédrale. Les mouvements des Frères de leur communauté à leurs écoles de quartier, ceux des élèves qui se rendent aux offices, s’intègrent aux pulsations urbaines.

Les élèves de Sainte-Eulalie

Les laïcisations en germe s’opèrent en 1880 et provoquent une vaste réorganisation des écoles portée par les responsables diocésains, les familles et les réseaux de bienfaiteurs. Dans la plupart des cas, les écoles communales perdues sont réouvertes avec un statut privé relié aux paroisses. 

Les lois de 1904 marquent un coup d’arrêt pour toutes les communautés qui ferment alors en tant qu’établissements congréganistes. Quelques écoles poursuivent leurs activités quelques temps avec des prêtres séculiers, des enseignants laïcs ou des religieux sécularisés comme les écoles Saint-Martial, Saint-Rémi, Saint Ferdinand, les deux Maîtrises ainsi que le pensionnat de Saint-Genès. 

Les Frères reprendront l’école Sainte-Eulalie en 1935 pour la développer en structure de collège jusqu’au départ de la communauté en 1968 après son refus d’une délocalisation à Talence proche banlieue de Bordeaux.

L’école Saint-Seurin s’est maintenue jusqu’à nos jours, sous tutelle diocésaine, sans avoir changé d’adresse. 

Rentrée du 3 janvier 1874 à Saint-Genès

C’est aux premiers vents des laïcisations, que l’Institut implante en 1874 un pensionnat rue de Saint-Genès à la suggestion pressante du Supérieur général (Frère Irlide) auprès du Frère Alphonse. Les Frères font l’acquisition en 1873 de l’ancien noviciat marianiste établi par le Père Chaminade, et ouvrent l’année suivante le premier établissement scolaire au nom du fondateur : le pensionnat Jean-Baptiste de la Salle (pensionnat Saint-Genès en 1904). 

La rentrée s’effectue un 3 janvier avec une douzaine de Frères pour 28 élèves en 3 classes… qui deviendront 277 le 31 décembre 1874 en 7 classes. Une croissance qui se poursuit l’année 1875-1876 avec 373 élèves accompagnés par 37 formateurs Frères et laïcs.

Les innovations pédagogiques s’enchainent au fil des opportunités et des réformes des programmes :
- classes de transition au cours moyen,
- accès au baccalauréat en 1882,
- cycle agri-commercial (1899 à 1933),
- classes préparatoires au concours des arts et métiers (1906-1931)
- ou au brevet supérieur (1912),
- introduction de la sténographie en 1900,
- ouvertures des sections lettres-philo et mathématiques vers 1902 etc.

Fort de sa structure d’encadrement dans son format d’internat, l’établissement adopte peu à peu les parcours des cycles modernes du primaire au secondaire.

Saint-Genès
Saint-Genès
Saint-Genès : chapelle
Saint-Genès : vue aérienne

Les archives de l’amicale des anciens élèves permettent de souligner le dynamisme de l’éducation sociale et de la promotion du laïcat vécu par le pensionnat sur la période 1896-1914, en lien avec le collège et la communauté des Frères. Les anciens élèves s’investissent alors dans nombre de mouvements d’action sociale : Conférences Saint-Vincent, patronages des écoles, bibliothèques ambulantes, secrétariat du peuple, conférences populaires, mutualités et syndicats etc. Autant de chemins d’engagement où élèves et anciens élèves, appuyés par l’engagement bénévole des Frères et des professeurs, sont invités aux plus courageux dépassements (Frère Yves Poutet, 1991).

La solidité de l’institution lui permettra de traverser les épreuves que nous relatent les historiques de communauté :
► Frères en procès pour fausse sécularisation entre 1904 et 1914, 
► cohabitation avec un hôpital militaire durant la Grande Guerre, 
► puis avec une caserne allemande durant la seconde. 

Bordeaux, alors situé en zone occupée, subit les bombardements alliés en début et en fin de conflit, jusqu’à sa libération en août 1944 après l’évacuation négociée et sans combat des troupes nazies. 

Les 3 sites lasalliens à Bordeaux

Le centre scolaire Saint-Genès – La Salle, désormais installé sur trois sites, s’est associé en 1972 à l’établissement ouvert par les Frères à Talence en 1856. Il s’agit alors d’une école communale que les Frères utilisent comme école d’application du noviciat ouvert, lui, en 1852. Cette école primaire fonctionne en continue, devenue école libre en 1880, tenue par des Frères sécularisés après 1904, bénéficiant de la proximité de la maison provinciale et de la maison de repos des Frères anciens, et solidement encadrée par des générations de novices et de scolastiques (Frères étudiants) de 1946 à 1966 de façon régulière. 

Diplôme des 150 ans
Statue de JBS

Les Frères quittent Bordeaux en 1992, puis Talence en 2008. L'année 2024 voit leur retour avec l'ouverture d'une communauté à Saint-Genès.
La tradition éducative lasallienne laisse son empreinte vivante sur la géographie scolaire de la ville depuis plus de 250 ans.