Brethren in exile (Frères en exil)

Décembre 2024

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Entre 1904 et 1945, des Frères lasalliens des districts nantais et bretons trouvent refuge en terre anglaise, exilés de France par les lois combistes ou chassés par l’occupant nazi. Ils participent à l’ouverture de diverses œuvres éducatives à Guernesey, Jersey, Plymouth, Portsmouth et Ipswich, reprennent le collège Saint-Joseph à Londres (Beulah Hill), et sont des renforts appréciés dans de nombreux autres College de Manchester à Darlington en passant par Cardiff ou Sheffield…

Une terre de mission réservée aux amoureux de l’anglais et… du sport 

Quelques communautés britanniques et irlandaises ayant accueilli des Frères français entre 1904 et 1945 :

(en gras, les maisons rattachées aux districts de Nantes et de Quimper)

A - Communautés de formation

  1. Les Vauxbelets, Guernesey (1904-1999)
  2. Vimiera, Guernesey (1906-1972)
  3. Castlemount, Dover, Kent, (1912-1940)
  4. Balcombe, Ringwood House, Sussex
  5. Waterfor, Ireland
  6. Mallow, Ireland
  7. Castletown, Ireland
  8. Marden Hill, Hertfordshire
  9. Inglewood House, Kintbury, Hungerford

    B - Communautés d'école

  10. St Joseph's college, Beulah Hill, London (1907)
  11. St John's college, Southsea, Portsmouth (1908-2022)
  12. St Boniface's college, Plymouth (1911-1914)
  13. DLS college, The Beeches, Jersey (1917)
  14. St Joseph's college, Oak Hill, Ipswich (1937-1996)
  15. St Ambrose college, Hale, Altrincham (1940-1945)
  16. Hassocks, Sussex (réfugiés de Southsea durant la guerre)
Carte des implantations

Depuis l’arrivée des premiers Frères français en 1855, la Grande-Bretagne lasallienne (associée à l’Irlande depuis 1880) a vu son développement ralenti par un environnement politique, éducatif et religieux peu favorable aux écoles catholiques. En 1903, avec l’appui des Frères irlandais venus parfois des Amériques, le district compte sur 193 Frères pour tenir 21 écoles dont 4 en Angleterre. La majorité de la cinquantaine de Frères britanniques est alors en poste aux U.S.A. et en Irlande.

Le Royaume-Uni (qui inclut l’Irlande jusqu’en 1922) est une terre d’asile en temps de conflit ou d’oppression, et, fort de sa langue, une plaque tournante grande ouverte à l’international, fort de son empire, un tremplin vers le Nouveau Monde et pour les missions en terres asiatiques ou australiennes

Après les lois d’exclusion, les premiers contingents de Frères français qui choisissent l’exil arrivent sur le sol britannique à partir de 1904 d’abord à Guernesey puis en Angleterre dans divers collèges dont le cadre administratif et économique rend souvent l’insertion compliquée. Ils seront parfois aidés par les quelques compatriotes enracinés dans les lieux au fil du XIXe siècle.
Les Frères proviennent des districts de Quimper et de Nantes où une centaine de Frères ont choisi l’expatriation. C’est ainsi qu’un groupe de Frères du pensionnat de Poitiers (district de Nantes) est chargé de renforcer le St Joseph’s college de Londres

Le défi est de taille pour ces 8 Frères dont le pensionnat vient d’être fermé. D’abord réfugiés aux U.S.A., ils sont appelés par le Supérieur général à prendre en main les destinées de ce collège londonien en perte de vitesse, en 1909. Ils ont pour atout la maitrise de la langue acquise dans ce district de New-York où de nombreux Frères français ont trouvé refuge en 1904.  Il s’agit pour ces Français, catholiques et de culture rurale, de s’intégrer dans une société urbaine et protestante, à la francophobie prompte à resurgir, cultivant un style éducatif original nécessitant des habilitations spécifiques. Par ailleurs, leur affectation un peu précipitée bouscule les communautés londoniennes en place : celle de St Joseph’s college (1855) ne s’y attendait pas vraiment, et celle de St Joseph’s Academy (1860 – actuel St Matthew academy) ne va pas tarder à rentrer en rivalité comme étant le seul vrai St Joseph… Les relations resteront complexes. 

Communauté de Beulah Hill
Beulah Hill
Poste de sécurité pendant la guerre
Exercice de sécurité

Le défi est relevé avec habileté et St Joseph’s college Beulah Hill devient un bastion français et un établissement catholique de référence, à la base de la fondation du sous-district de Nantes-Londres (vers 1904-1945). Un district qui se diluera progressivement dans celui d’Angleterre-Irlande au gré des vastes mouvements de personnels engendrés par les deux guerres. 

Tout en poursuivant activement leur formation linguistique et académique (le King’s college n’est pas loin), les Frères apprivoisent les Londoniens en accueillant d’abord… des élèves étrangers dont les parents mènent des carrières à l’international. Ils proposent des cursus dans le domaine commercial et développent un internat aux standards nationaux en s’appuyant sur la qualité des équipements sportifs et des conditions de vie en pension – éléments très scrutés outre-manche.  

L’organisation de ces grandes manifestations sportives si prisées sera un moyen de publicité et un atout pour établir une réputation qui s’accroit au fil de palmarès de fin d’année de mieux en mieux intégrés aux parcours diplômant locaux (examens de la chambre de commerce de Londres). Le respect des programmes scolaires va de pair avec celui de la foi anglicane dont la catéchèse cohabite avec les parcours catholiques. Le collège passe de 29 élèves en 1909 à 400 en 1918. Beulah Hill sera un pôle de ralliement pendant la guerre de 1939-1945 en lien avec le juvénat de Marden Hill comme zone de repli.

Frères nantais

En 1908, le district de Nantes ouvre un collège à Southsea, banlieue de Portsmouth : le St John’s college.
Il propose une filière commerciale et un parcours débouchant sur le bac anglais (matriculation). Un cours spécial d’un an est proposé aux élèves étrangers avant de rejoindre l’une ou l’autre section. L’école accueille 300 élèves en 1923. La communauté d’une dizaine de Frères nantais au départ, n’accueille plus que 4 Frères français en 1939. Frères et élèves trouveront refuge à la communauté d’Hassocks durant la guerre.

Signe d’intégration : le Frère fondateur de Southsea, Henri Campin (1877-1953), est chargé des vocations et sillonne les campagnes du Lancashire et du Northumberland durant les années 1924.

Choc culturel et adoptions mutuelles

De 1911 à 1914, les Frères du district de Quimper répondent à l’appel de l’évêque local en reprenant le St Boniface college de Plymouth. Onze Frères provenant principalement du collège Saint-Louis de Brest arrivent avec 23 élèves brestois qui s’adjoignent à 37 jeunes Anglais et une dizaine d’Espagnols venus apprendre la langue. Ils trouvent l’appui d’un Frère irlandais, et d’un laïc professeur de latin. La gestion des groupes linguistiques est complexe. L’évêque voulait un petit séminaire. Puis la mobilisation des Frères en 1914 interrompt l’essai.

C’est à Douvres, sur la propriété de Castlemount, que le district de Nantes ouvre son noviciat et son scolasticat en 1912, dans des bâtiments d’abord acquis en vue de loger la Maison-Mère de l’Institut dont le refuge en Belgique avait été un temps remis en cause. Exposée aux bombardements allemands durant le conflit de 1914-1918, la communauté doit trouver refuge à Winchester. Elle ne retrouve Douvres qu’en 1919 où la structure de formation pourra fonctionner paisiblement jusqu’en 1939.

Noviciat de Castlemount

Sur cet intervalle, les registres de prises d’habit mentionnent 537 noms, dont 346 pour le district de Nantes et 148 pour celui d’Angleterre. Le scolasticat prépare aux brevets élémentaires et supérieurs que les Frères valident en France. À partir de 1925, les études supérieures se prolongent et s’anglicisent en préparant au baccalauréat-es-Arts, matriculation ou inter-arts. La communauté étudiante s’enrichit des recrues d’Europe centrale et de Malte venues de Lembecq et se destinant aux missions asiatiques. Après la mobilisation générale de septembre 1939, la communauté francophone organise son retour en France en octobre et la maison de formation - prise sous les bombes et réquisitionnée par la R.A.F. - ferme définitivement ses portes en juin 1940 tandis que les derniers scolastiques rejoignent le collège de Beulah Hill. La maison passe au district de Londres en 1945, vendue puis détruite en 1973, pour laisser place à un centre éducatif public.

Frères scolastiques en 1941

Autre établissement dépendant du district de Nantes, les Frères prennent la responsabilité du St Joseph’s college d’Ipswich entre 1937 et 1945. En 1943, y exerceront 7 Frères français et 10 britanniques dans des sections primaires et secondaires. 

Le conflit ouvert en 1940 provoque le départ de Frères mobilisés qui auront parfois bien des difficultés pour retrouver l’Angleterre ensuite. La guerre et les bombardements incessants entrainent un vaste mouvement de brassage dans lequel les écoles et les maisons de formation se mobilisent pour accueillir postulants, novices, scolastiques, Frères et élèves de toutes nationalités, réfugiés de Guernesey ou provenant des maisons subissant le Blitz, en ouvrant ici et là des annexes à l’abri. Les jeunes Frères y sont employés selon leurs capacités dans des fonctions éducatives ou dans les fonctions du temporel. Des Frères mobilisés effectuent leur service sur place ou participeront à la libération de la France en 1944. 

Le collège d'Ipswitch

Îles anglo-normandes

Guernesey

À Guernesey les Frères achètent des terrains à Vimiera (pour le district de Quimper) et aux Vauxbelets (district de Nantes) en 1904 en vue d’y installer leurs maisons de formation (associant petit et grand noviciat, scolasticat). 

►  La maison de Vimiera accueille novices et scolastiques de 1906-1907 à 1940, l’occupation de l’île par les nazis entrainant alors un long exil de 5 ans avant le retour définitif en France : regroupement à Londres (Beulah Hill) en juin 1940, départ des novices en octobre pour l’Irlande (Castletown d’abord puis Mallow), puis retour à Londres de 1943 à 1945 où les bombardements nazis sont continus. Les bâtiments – endommagés par l’occupant - restent inoccupés un temps, puis un hôtel y est progressivement aménagé. L’ensemble est vendu en 1972, après une brève tentative d’y établir un centre d’échange international en 1970, détruit en 1980 en vue d’y établir un luxueux hôtel qui ouvre en 1983.

►  La maison des Vauxbelets connait un sort plus heureux demeurant jusqu’à nos jours une œuvre éducative chrétienne regroupant école et collège, associés à un étonnant pôle d’attraction spirituel et touristique avec sa Little Chapel.
Comme maison de formation, seul le petit noviciat fonctionne de manière continue de 1905 à 1940, année où la communauté rejoint celle de Vimiera dans son refuge londonnien avant de rejoindre la France en 1945. Noviciat et scolasticat ferment dans les années 1908-1911, et s’installent, après un épisode espagnol (Irun, 1911-1912), à Douvres (Castlemount) sur la période 1912-1940. Des structures qui deviennent rapidement bilingues.

Dès le début, les Frères établissent parallèlement un collège secondaire (1908-1924) et un établissement horticole (1907-1926) pour les continentaux (tous deux fermés pour raison économique), ainsi qu’un établissement secondaire pour les insulaires (1906-1953).  Un épisode peu connu de l’exode en terre anglaise de 1940-1945 évoque l’ouverture par les Frères et quelques-uns de leurs élèves guernesiais des Vauxbelets du St Ambrose College de Hale (au sud de Manchester), repris par les irish Christian Brothers ensuite (différents des De La Salle Brothers).

C’est entre 1914 et 1925, que le Frère Antoine Treilhaud (Déodat-Antoine, 1878-1951) va marquer durablement les lieux en construisant - à la manière du célèbre facteur Cheval mais collectant ici et là coquillages et morceaux de faïences - une grotte de Lourdes surmontée d’une réplique miniature de sa basilique -The Little Chapel - qu’il reprendra par trois fois. C’est le Blanchelande college qui en assure l’entretien de nos jours.

Élèves de l'école d'horticulture
Devant la &
little chapel
Rassemblement de Frères

Les îles anglo-normandes sont livrées aux armées nazies en 1940. Celles-ci – fortes de cette unique conquête d’une terre britannique - les occuperont avec un entêtement particulier durant tout le conflit, et ne les évacueront qu’en dernière extrémité en mai 1945.

Après-guerre, la propriété des Vauxbelets connait son temps d’incertitude, gardée par des Frères anciens, tandis que le collège et la ferme fonctionnent. Un centre international de rencontres scolaires est lancé par un enseignant laïc (J. Constantin) entre 1966 et 1971. Les Frères se lancent enfin dans l’aventure d’un centre linguistique qui fonctionnera avec succès entre 1971 et 1998. En 1999, le Blanchelande College (Sœurs du Sacré-Cœur) s’installe aux Vauxbelets de Haut et en 2003 le Cordier Hill Infant School s’installe aux Vauxbelets de Bas. La propriété est vendue au Blanchelande College en 2022.

Pendant l'occupation allemande

Jersey voit renaitre une école lasallienne en 1917 (une école avait fonctionné sur 1866-1896), rattachée au district de Quimper jusqu’en 1946-1948, actuel de La Salle College (garçons de 3-18 ans). L’école ouverte à Saint-Hélier sur la propriété des Beeches, est marquée par la trentaine d’années de direction (1921-1950) du Frère Jean-Claude Kervella (1879-1960) – dit Brother Edward - qui aura su traverser non sans mal la période d’occupation nazie. Il est inhumé à Jersey-St Martin rejoignant ainsi 3 autres Frères à Jersey-St Hélier, et 13 au cimetière des Vauxbelets.

Sépulture du Frère Kervella
Frères bretons

En 1945, le district de Londres-Malte prend son autonomie (avec un Frère visiteur français jusqu’en 1958) et les œuvres françaises changent progressivement de main. Au cours de ses offices quotidiens, le district de Grande-Bretagne (1988) fait mémoire du décès de chaque Frère ainsi que de celui de ces quelque 200 Frères français qui, durant une quarantaine d’années, ont pu exercer un apostolat éducatif sur les terres anglaises. Pour les uns comme pour les autres, les épreuves partagées tout particulièrement durant le deuxième conflit mondial auront marqué bien des vies, et créé des liens d’amitié durables

Bruno Mellet