Illustrer la foi pour la célébrer, en garder le fruit dans le cœur, l’esprit et la mémoire, est une pratique qui s’inscrit dans l’histoire du christianisme comme mode d’expression et de transmission depuis son origine. Parmi nos collections d’images didactiques – manuels de catéchisme illustré, images pieuses, projections fixes ou animées, bandes dessinées – nous pointons ce mois-ci celle des tableaux de catéchèse.
L’imagerie catéchétique s’intègre aux manuels illustrés dès les toutes premières éditions et plus particulièrement à partir du XVIe siècle dans la mouvance des réformes du catéchisme opérées par le Concile de Trente.
L’image vient à l’appui de la prédication des Écritures et de la doctrine, participant à la dynamique de l’appropriation de la foi sur les plans du sensible, de l’émotion et de la mémoire. Elle inscrit le cheminement de la foi et son récit dans un univers pictural et émotionnel familier que le croyant pourra retrouver dans l’iconographie chrétienne usuelle, ou dans l’architecture des édifices religieux par exemple.
Il faut attendre les progrès de l’impression et tout d’abord de la chromolithographie tout au long du XIXe siècle pour rendre possible l’édition de planches illustrées de grand format à vocation didactique. Ces planches – déjà employées pour les Missions - intéressent tout particulièrement les paroisses qui doivent prendre en main le catéchisme des enfants après les lois de laïcisation de mars 1882 bannissant l’instruction religieuse des écoles publiques. L’édition de ces gravures s’accompagne parfois de livrets explicitant les images au symbolisme parfois complexe à décrypter autant pour les formateurs que pour de jeunes enfants qui maîtrisent mal le langage tant écrit ou oral que pictural.
« Lorsqu’une image a été expliquée, on la laisse quelque temps sous les yeux des élèves, pour que le souvenir et l’impression se gravent plus profondément. Ensuite on la retire. On la montre à nouveau à l’occasion de la récapitulation, puis on la met en réserve pour une autre année. Les enfants la revoient alors avec plus de plaisir… »
(Manuel du catéchiste, Procure des F.E.C., Paris, 1907, p. 131-134).
Dans son manuel de méthodologie, l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes détaille ainsi l’emploi des images :
« D’après le principe pédagogique des impressions simultanées, tout mot nouveau doit se présenter à la fois sous trois aspects : le sens, le son et la forme. Le sens est pour l’esprit, le son pour l’ouïe, la forme pour la vue. Ces trois images se complètent, se fortifient et se rappellent réciproquement » (Id.).
Mais aussi :
« Au moyen des images, les enfants assistent pour ainsi dire à l’action. Ils se figurent voir les personnes ; ils sentent, souffrent, combattent avec elles… Elles aident les enfants à pénétrer dans leur propre intérieur. C’est comme un miroir qu’on leur met sous les yeux » (id.).
On retrouve là l’art de la vulgarisation par l’image si caractéristique de la pédagogie du XIXe siècle. C’était avant que la photographie ne prenne toute sa place dans l’édition et n’établisse un nouveau rapport au réel et au savoir.
Le temps du catéchisme peut regrouper 30 à 40 enfants pour une leçon qui alterne récitation, lecture, chant, commentaire d’image, prière liturgique. L’image peut être utile avant, pendant ou après la leçon pour la conduire, la résumer, ou comme aide-mémoire pour la réciter. L’image murale orne la salle de classe en y créant une animation visuelle qui peut suivre le calendrier liturgique par exemple.
L’usage de ces séries de planches est en vogue entre les années 1860 et 1930. La plupart des séries conservées aux archives sont incomplètes mais sont constituées d’une quinzaine de collections de 30 à 70 planches de format compris entre 40 et 80 cm en hauteur et 40 et 70 cm en largeur.
La plus célèbre de ces séries, pour ainsi dire inscrite au patrimoine religieux national, est celle produite par la Maison de la Bonne Presse, ancêtre des éditions Bayard : Le Grand Catéchisme en images du Pèlerin édité entre 1884 et 1893, associé au cahier grand format recueillant les commentaires explicatifs.
Son raffinement pictural et la complexité de ses tableaux à plusieurs niveaux de lecture à l’exemple des tympans des cathédrales ou des triptyques médiévaux, expliquent en partie que le livre du maitre a eu plus de succès éditorial (on évoque un million d’exemplaires) que les planches elles-mêmes (10 000 exemplaires environ). Traduite en de nombreuses langues et éditée jusque dans les années 1940-1950, cette série de planches, œuvre du père Vincent de Paul Bailly (1832-1912), assomptionniste, a récemment été rééditée.
Catéchisme en images, Maison de la Bonne Presse , Paris, 1912. 70 gravures en noir et blanc avec explications de chaque tableau en regard.
Son concurrent, édité par Tolra vers 1899, est le Grand album d’images en couleur pour l’explication du catéchisme de l’abbé Mouterde. Il est constitué d’environ 70 planches et parcourt les thématiques classiques autour des articles de la foi, des commandements de Dieu et de l’Église et du sens des sacrements.
De qualité artistique moindre, les planches représentent toute la complexité qu’il y a à illustrer des éléments de doctrine dans leurs dimensions spirituelles sans tomber dans le moralisme ou le ritualisme. Les tableaux accumulent alors les liens picturaux possibles avec des récits bibliques, des vies de saint(e)s et des scènes de la vie contemporaine. Il s’agit de donner une forme narrative au dogme en faisant dialoguer les scènes exposées.
Les mises en scènes de la vie contemporaine se développent dans les éditons plus récentes. L’enfant, l’élève, y est représenté dans les situations de sa vie quotidienne familiale et scolaire ou paroissiale : l’image invite toujours davantage le spectateur à s’associer au récit et à porter un autre regard sur lui-même. Cette démarche pédagogique ébauche la catéchétique « moderne » qui place le sujet apprenant – l’enfant – au centre.
Le merveilleux chrétien n’est pas absent de l’imagerie de l’entre deux guerre marquée par un style plus moderne chez les éditeurs belges et anglo-saxons dont les séries bibliques ont des qualités esthétiques certaines. « Si les images sont bien choisies, elles peuvent contribuer à développer chez les grands élèves surtout, le sentiment du beau » (Manuel du catéchiste). Si l’illustration des récits bibliques est plus aisée à maitriser que celle des questions de doctrine, sa dimension interprétative propre à l’artiste introduit l’éducation à la lecture personnelle d’une œuvre ou d’un texte et à ses limites.
Dans le Style Moderne ou Art déco, deux éditeurs belges produisent des séries de tableaux illustrés par Philipp Schumacher (1866-1940) et par Jos Speybrouck (1891-1956) assez remarquables. Ce dernier, ancien élève et professeur du réseau des écoles Saint-Luc a collaboré avec la communauté bénédictine de l’abbaye Saint-André près de Bruges entre 1923 et 1940 pour créer un cycle d’illustrations chromolithographique du calendrier liturgique d’une soixantaine de planches au style très particulier.
Nous conservons également aux archives deux belles collections anglo-saxonnes de 52 (G. Nell, USA) et 110 planches illustrées par un ensemble d’artistes au style très réaliste et contemporain.
La collection britannique de 110 panneaux éditée par Thomas Nelson et fils vers 1910 est ici dans sa traduction française. La série originelle présente 246 tableaux qui ont été diffusés dans toute l’Europe. L’art de la prédication visuelle pratiquée de longue date par la tradition réformée est à explorer également.
Face à ces tableaux qui mettent la foi en scène, on sera sans doute plus sensible de nos jours aux œuvres au symbolisme plus suggestif que directif. La structure pédagogique de ces séries d’images reflète un rapport du baptisé au monde et au message évangélique à même d’illustrer les pages de l’histoire de l’Église du siècle passé.
Bruno Mellet