À son âge d’or, dans la France des années 1930, la pastorale paroissiale a pu s’appuyer sur environ 12 000 patronages, accompagnant des générations d’enfants dans des activités culturelles et sportives. Moins nombreux de nos jours, ils continuent de porter les valeurs positives de projets éducatifs dont l’enracinement culturel remonte à l’effervescence sociale provoquée par la révolution industrielle. Les Frères des Écoles chrétiennes, de par leur implication dans la formation professionnelle, ont joué leur partition dans cette longue histoire.
Regrouper des jeunes le dimanche pour un temps de reprise spirituelle associant des divertissements et des formations a donné lieu à de nombreuses tentatives fort anciennes. Inclure ce type d’animation dans un projet pastoral structuré (ici on joue, ici on prie) prend corps vers 1846 à Marseille avec l’abbé Timon-David (1823-1891) qui s’inspire de l’expérience marseillaise de l’abbé Jean-Joseph Allemand (1772-1836) et de celle plus lointaine de l’Oratoire de saint Philippe Néri (vers 1560) que reprend également Don Bosco en Italie.
Ces pères de la jeunesse fondent des œuvres de jeunesse qui s’adressent tout autant aux enfants qu’aux jeunes adultes. L’idée est de protéger (pater, protection… patronage) une jeunesse populaire en prise avec une précarité sociale croissante dans une société où les structures traditionnelles sont bouleversées.
La jeune société de Saint-Vincent de Paul avait développé des actions de patronage dès les années 1834 en vue d’accompagner, en mode individuel et/ou collectif, des jeunes en quête de contrats d’apprentissage. Le volet de l’accompagnement collectif demeurait le plus fragile. Timon-David diffuse à travers son ouvrage abondamment réédité, Méthode de direction des Œuvres de Jeunesse (1859), une expérience passée au feu de la durée et promise à la continuité.
La pérennité du mouvement des patronages s’appuie ainsi sur des instituts ou sociétés de prêtres créées par ses fondateurs, comme les Frères de Saint-Vincent de Paul, mais surtout sur les anciens des « patros » les plus engagés qui vont à leur tour former les plus jeunes. De cette élite naitront de nombreuses vocations religieuses et sacerdotales.
Les Frères des Écoles chrétiennes s’associent à la pastorale des patronages et des œuvres de jeunesse à Paris, dès 1843, pour l’étendre à leur réseau d’écoles en France et à l’étranger, incluant bien souvent des cours du soir pour adultes et pour apprentis.
Entre patronage scolaire et paroissial, la formule consiste à se réunir, sous l’autorité du Frère directeur et de l’aumônier, dans les locaux de l’école ou d’autres liés à la paroisse, les jeudis après-midi ou les dimanches pour des activités équilibrant ludique et spirituel. Plus spécifiquement, les Frères y réunissent leurs élèves, jeunes ou adultes en formation professionnelle, ou leurs anciens élèves ouvriers ou employés.
C’est tout d’abord le Frère Philippe, Supérieur entre 1838 et 1874, qui lance les forces parisiennes de l’Institut dans l’aventure, avec l’appui des évêques et du député catholique Armand de Melun (1807-1877). Les Frères, qui animeront plus de 100 écoles communales à Paris vers les années 1870, sont impliqués dans 15 patronages paroissiaux en 1861. Le mouvement est relancé par l’Église qui se doit de répondre aux défis sociaux du temps marqué par la Commune de 1871 et les lois de laïcisation de 1882.
Le Frère Joseph, Supérieur entre 1884 et 1897, poursuit l’élan, compliqué par la nécessité de reconstituer un réseau d’écoles. Les Frères abandonnent les écoles communales pour des écoles libres, le plus souvent paroissiales : les patronages pourront s’y réunir plus aisément. On en compte 49 à Paris en 1896. Étendu au niveau national, « en 1900, on comptera trois cent cinquante patronages des Frères des Écoles chrétiennes, touchant 32 572 garçons », principalement dans le Nord et la région parisienne.
Pour les Frères, le patronage continue l’éducation donnée aux cours d’apprentis, sous forme de récréations animées par des jeux ordonnés ». On retrouve ce principe au Cercle des Francs-Bourgeois (1854) à Paris avec le Frère Joseph (1823-1897) épaulé par un ancien de l’abbé Allemand, M. Agnel. Également avec le patronage modèle de Notre-Dame de Bonne Nouvelle (1882), rue des Petits-Carreaux, fondé par le Frère Hiéron (1830-1905) qui associe une pension de famille pour les adolescents et un bureau de placement. Là va naitre un des syndicats constitutif de la future Confédération Française des Travailleurs Chrétiens. Le Frère Hiéron a bénéficié du soutien du Frère Éxupérien (1829-1905), Assistant du Supérieur au charisme tout ordonné à la formation spirituelle des jeunes gens, frères ou laïcs. Ce dernier contribue à maintenir le cap des œuvres de jeunesse en accentuant la formation spirituelle des jeunes et de leur encadrement. Il est à l’origine de la société Saint-Benoit-Joseph Labre (1882) qui s’emploie à consolider la vie spirituelle de jeunes volontaires issus des patronages des Frères appelés à devenir cadre dans les diverses œuvres ecclésiales de l’époque.
La pratique chrétienne a une dimension forte : vers 1880,
« un dimanche au patronage
► débute par la messe à 7 heures (…)
► À 10 heures la séance générale comprend une lecture parfois tirée des Vies de Saints que publie Le Pèlerin.
► À 13h30 participation aux petites vêpres, parfois à la paroisse ;
► à 15 heures récitation du chapelet à la chapelle ;
► à 17 heures pour la réunion générale, il y a allocution de l’aumônier. Les jeudis et samedis sont entendues les confessions. La communion fréquente est encouragée ».
Le « patro » vise à former des hommes et des chrétiens prêts à l’action. Après la rupture de 1904, la présence des Frères dans les œuvres de jeunesse se reconfigure au fil des évolutions pastorales et scolaires.
Les distractions « mettent l’accent sur les jeux de plein air, la musique, le chant et, en particulier dans les œuvres des Frères, le théâtre. Les jeux associent le ballon, (…), les boules, les quilles, le tambourin, les barres, souvent en fonction des traditions régionales ».
Aux grands jeunes, l’offre de loisir s’étend et se libéralise : jeux de cartes et buvettes, repas d’adieux aux conscrits ou aux fiancés, excursions et causeries « sérieuses ».
Les activités sportives se diffusent au même rythme que dans le domaine sociétal et scolaire et donnent lieu à des fêtes ou des tournois où rivalisent les fanfares. Dans ce contexte, l’implication de professionnels laïcs devient courante et les coordinations nécessitent la création des premières fédérations sportives vers 1898.
La passion sportive prend peu à peu le pas sur le projet pastoral qui lui-même se déporte vers l’Action catholique : celle-ci émerge entre les deux guerres avec ses leaders issus des patronages. Les choix pastoraux opérés par l’Église après le Concile de 1965 ordonne le déclin des patronages - déjà entamé dès l’après-guerre - dans leur formulation d’origine tout au moins. Les derniers patronages encore adossés à des écoles lasalliennes déclinent alors.
La mémoire des patronages demeure présente dans nombre de clubs sportifs, d’associations culturelles et de loisirs. Les « patros » auront joué un rôle considérable dans l’accession des plus humbles aux jeux et aux sports.
Citons Henri Rollet dans sa belle conclusion :
« Il est impossible d’apprécier les immenses services rendus par les patronages à la collectivité. Pendant plus de 100 ans ils ont été école de dévouement bénévole, foyer de vocations sacerdotales, sociales, syndicales. Ils ont acheminé à une vie familiale mieux comprise les garçons et les filles, ils les ont conduits aux engagements les plus divers de l’éducation physique à la vie politique. Car presque tous les adolescents accueillis par eux les ont quittés meilleurs » .
Bruno Mellet
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