À l’occasion du centenaire des apparitions de Lourdes, en 1958, le Bulletin de l’Institut dévoile les nombreuses répliques des grottes de Lourdes qui ornent maisons provinciales et maisons de formations au quatre coin du monde lasallien. Si les Frères ont participé pleinement à cet élan de ferveur dans son expression monumentale, c’est que leur dévotion à Marie est solidement enracinée depuis les origines de la congrégation, en ce Grand Siècle qui consacra mai comme étant le mois de Marie.
Le 11 février 1858, la petite Bernadette Soubirous, part ramasser du bois vers la grotte de Massabielle. C’est là, dans le creux du rocher, qu’elle voit pour la première fois la Vierge Marie. Quatre ans plus tard, le 18 janvier 1862, l’Église reconnait officiellement les 18 apparitions de Lourdes. L’événement est retentissant et les pèlerins affluent à la grotte.
Peu à peu, surtout en France mais également dans le monde entier, paroisses et institutions religieuses édifient des répliques de la grotte rapprochant ainsi le sanctuaire de ceux qui ne peuvent s’y rendre pour y confier corps et âme. Ces édifices, humbles ou monumentaux, dédiés à Marie Immaculée, se veulent des centres de prière individuels et collectifs, sanctuaires pour des pèlerinages locaux.
Ils ont parfois été bâtis à l’occasion d’une année mariale ou en reconnaissance d’une grâce obtenue, tout particulièrement durant les grands conflits du siècle. Les missionnaires français, religieux et religieuses, contribuent à diffuser cette statuaire mariale spectaculaire dans bien des jeunes églises.
Lourdes ! dont on s’éloigne en sanglotant. Que dis-je ? qu’on ne quitte plus lorsqu’on a eu la faveur immense d’y dresser, ne fût-ce qu’un jour, sa tente. Lourdes, où l’on reste enchaîné par le meilleur de soi-même. Lourdes ! qui communique au passager la nostalgie de Notre-Dame et la fait vivre désormais en dedans, sur les paysages intérieurs, ensoleillés par la suave et maternelle figure de Marie. Je te salue, ô Lourdes, aumônière de bonté, roseraie fleurant le paradis, arc-en-ciel dans les tempêtes, havre de salut, fontaine de prodiges, oasis de bonheur, vitrail du ciel, Dieu avec nous ! Ave, Ave, Ave, Maria !
(Frère J. Chaidron, 1887-1957)
Cette ferveur lasallienne – aux accents parfois déroutants – traverse les continents, édifiant dans les maisons d’Australie, du Japon, du Canada, de Haute-Volta, etc. des répliques permettant aux cultures locales de s’unir à un élan spirituel collectif de dimension historique et de s’approprier une expérience tout à la fois unique et universelle.
En France, le « Petit Lourdes » du scolasticat d’Hérouville-Saint-Clair (près de Caen) constitue un ensemble architectural probablement unique dans l’Institut. Construit en 1882 comme une reproduction réduite du sanctuaire de Lourdes à l’initiative de Mr J. Dubosq, en action de grâce pour une guérison, il est destiné tout à la fois à accueillir des pèlerinages diocésains et à servir de chapelle pour les Frères qui en assurent la maintenance.
En partie détruit lors des bombardements de 1944, le sanctuaire est définitivement restauré en 1955. Il demeure dans la mémoire des Frères y ayant poursuivi leurs études dans une atmosphère mariale très particulière, ainsi que dans celle des pèlerins y ayant fait l’expérience d’une guérison physique ou spirituelle dont témoignent nombre d’ex-voto.
Certains historiens aiment à fixer le moment symbolique de la fondation de la communauté des Frères des Écoles Chrétiennes lors du pèlerinage de 1684, au sanctuaire marial de Notre-Dame de Liesse, des 12 premiers compagnons de J.-B. de La Salle au lendemain de leur premier engagement votal.
La vie du fondateur et des premiers Frères est ainsi émaillée des traits communs de cet âge d’or de la piété mariale que fut le XVIIe siècle. Siècle dans lequel s’enracine les bases, pour partie toujours actuelles, de ce tropisme spirituel français pour Marie.
Cette piété aura bénéficié du renouveau intellectuel opérés par
Si de La Salle n’a pas écrit de traité développé sur Marie, nombreuses sont ses méditations et écrits spirituels qui s’y réfèrent encourageant les Frères à tisser des liens avec Marie éducatrice et médiatrice. Celle-ci est la protectrice des Frères, modèle de leur vie consacrée et apostolique. Chaque jour, les Frères évoquent la Vierge et récitent la prière du chapelet. À chaque fête de l’Immaculée Conception, ils renouvellent leur consécration au Christ par Marie.
Vierge très sainte, très digne mère de Dieu, et qui êtes aussi ma bonne mère et mon avocate, mon refuge et ma protectrice, je m'adresse à vous avec une profonde humilité, comme à celle en qui, après Dieu, je mets toute ma confiance, pour vous prier de vouloir bien recevoir en votre protection mon oraison, mes résolutions, et tout ce que j'y ai conçu.
(J.-B. de La Salle, EMO, 20-340)
Pour autant, si la dévotion à la Mère de Dieu est bien une dévotion lasallienne, l’Institut n’est pas une congrégation mariale à l’image de celles qui naissent du réveil religieux au courant du XIXe siècle. Un siècle où fleurit ce qui avait été semé deux siècles plus tôt dans les séminaires. Si l’on se tourne de nouveau vers Marie, c’est tout autant pour lui confier un monde troublé par toute sorte de conflits, que parce que ses apparitions (rue du Bac,1830 ; La Salette, 1846 ; Pontmain, 1871), montrent bien qu’elle est cette Mère vivante et active qui intervient dans la vie de ses enfants.
Dans les écoles des Frères on retrouve Marie dans - les statuaires des chapelles, - les portraits affichés en salle de classe (La Vierge à la grappe de P. Mignard, par ex.), - les prières quotidiennes et les offices marquant la vingtaine de fêtes mariales inscrites aux calendriers liturgiques de l’époque, - l’imagerie de piété distribuée aux élèves en diverses occasions, - ainsi que dans l’animation de groupes de persévérance comme les congrégations mariales.
Ces congrégations, présentes dans bon nombre d’établissements de Frères depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’après-guerre - où la Croisade eucharistique et la légion de Marie s’y substituent progressivement - sont des groupements d’élèves assemblés « en vue de promouvoir en eux-mêmes, surtout par le moyen d’une ardente dévotion à la Très Sainte Vierge, une vie bien chrétienne et le sens de l’apostolat » (Directoire pratique, F.E.C., 1928).
Les jeunes congréganistes s’engagent dans toutes formes d’activités pour y nourrir leur désir de sanctification personnelle, animant, là des fêtes mariales, ici des récitations du chapelet devant la grotte de Lourdes de l’établissement, se donnant des temps de formation spirituelle ou animant des actions charitables, etc.
De nombreux rituels d’initiation (bons points, diplômes, uniformes, médailles, avancement, etc.) contribuent au succès d’un mouvement qui participe ainsi à l’animation de la culture chrétienne des écoles. Emportés par l’enthousiasme, certains – pour l’image - évoqueront la classe appelée à être ce sanctuaire marial qui conduit ses élèves sur le chemin de la foi.
Enfant, si dans ton cœur mon nom est gravé, ne diffère, en passant, de me dire un "Ave".
(Sur le piédestal d'une statue de la Vierge,
dans un couloir de l'école des Francs-Bourgeois)
L’Église a toujours accompagné, au gré des détresses du temps, les regains de ferveurs mariales la conduisant à aborder de nouveaux rivages théologiques et spirituels. Sur le chemin de l’intelligence de la foi, Marie est de bonne compagnie.
Bruno Mellet