L’année spéciale saint Joseph décrétée par le pape François a été l’occasion pour les fidèles de tourner leur attention spirituelle vers une des figures les plus discrètes du récit biblique. Les Frères des Écoles chrétiennes ont une dévotion particulière pour ce modèle si déroutant de père et d’éducateur devenu Patron de l’Église universelle il y a 150 ans, le 8 décembre 1870.
Joseph, fils de David, garde sans crainte Marie pour épouse, car la vie qui est en elle vient du souffle saint. Elle mettra au monde un fils. Tu lui donneras le nom de Jésus, et il libérera son peuple égaré. (Matthieu, 1, 20)
Dans les évangiles de Matthieu et Luc, les seuls textes bibliques à le mentionner explicitement, Joseph apparaît comme tout entier ordonné au service de Jésus et de Marie. Ses vertus – foi, courage et humilité – en font un exemple moral, et sa vie donnée, un intercesseur, compagnon de route fidèle sur les chemins qui mènent au Père. Époux de Marie, père adoptif de Jésus, les relations qui relient ces trois personnages vont être plus amplement scrutées sur le plan théologique au gré de l’histoire et des interrogations du temps. Les richesses humaines et spirituelles que cet homme de foi a dû déployer dans ses rapports peu communs avec son enfant et son épouse sont explorées par nombre de courants spirituels y puisant de quoi nourrir les états de vie qu’il a partagés et assumés.
Cette personnalité discrète émerge dans « l’écosystème spirituel » occidental au XIVe siècle porté par les pèlerinages en terre sainte et les franciscains. Par l’intermédiaire de ces derniers, au XVIe siècle, la dévotion à saint Joseph s’enracine en Espagne portée par l’ordre carmélitain (à l’origine du tout premier office dédié) et sainte Thérèse d’Avila. Avec les oratoriens et les jésuites, les confréries laïques de dévotion venues d’Italie, la large diffusion d’ouvrages spirituels, son développement se poursuit en France en ce XVIIe siècle. Les papes Grégoire XV et Urbain VIII fixent alors la fête de la Saint-Joseph au 19 mars : un jour chômé dans toute la France par décision de Louis XIV en son tout début de règne en 1661.
Deux choses mettaient saint Joseph dans une si grande sollicitude à l’égard de Jésus, savoir, la commission que lui en avait donné le Père Éternel, et l’amour tendre qu’il avait pour Jésus. Vous devez avoir une si grande attention et affection à conserver, ou à procurer l’innocence aux enfants dont vous avez la conduite (…) que saint Joseph en avait pour tout ce qui pouvait contribuer au bien de l’Enfant Jésus.
(J.-B. de La Salle, Méditations pour les Fêtes, 110,3,1)
Jean-Baptiste de La Salle évolue en cet âge d’or de la dévotion à saint Joseph qu’est le XVIIe siècle français, aussi bien dans sa famille que lors de son parcours de formation au sacerdoce au contact des séminaires parisiens de Saint-Nicolas du Chardonnet et de Saint-Sulpice.
Dans ces divers lieux, en Joseph… ce n’est plus seulement l’époux de Marie qui est à l’honneur, c’est l’éducateur de Jésus, le responsable des jeunes années du Sauveur, prêtre par excellence, et, par suite, l’incomparable modèle des formateurs de prêtres animateurs de séminaires.
Aussi, de La Salle s’en inspire-t-il au gré de son engagement dans la fondation des premières communautés avec ses confrères éducateurs aux prises avec toutes sortes de défis et d’épreuves qui nourrissent les premiers écrits communautaires : règles de vie commune, exercices de piété, collection pédagogique et catéchétique. Les relations spirituelles familières avec saint Joseph, dont le patronage apparaît comme une évidence, s’enracinent et se déclinent en oraison, litanies, formules de consécration, méditations rythmant la vie liturgique des communautés et des écoles. De La Salle y articule avec soin les fondements théologiques d’une dévotion qui doit éclairer une meilleure pratique apostolique et communautaire.
L’Institut des Frères est officiellement placé sous le patronage de saint Joseph dans son acte de reconnaissance légal de 1725 par le pape Benoit XIII.
Les Frères trouvent un modèle de toute leur vie en saint Joseph qui répondit par la confiance et la foi à la fidélité de Dieu pour son peuple, donna son aide à Marie, participa à l’œuvre de salut par l’éducation humaine de Jésus, et fut fidèle jusqu’à la mort à son humble paternité.
(Règle des Frères des Écoles chrétiennes, art.77, Rome, 1987)
Le XIXe siècle connaît un regain de ferveur envers saint Joseph dont la figure est sollicitée par une société et une église en mutation. Il est patron des travailleurs, de la famille chrétienne, des instituteurs chrétiens, patron de la vie intérieure et de la bonne mort […] Il est honoré dans les nombreuses églises qui lui sont dédiées, dans nombre de congrégations qui portent son nom, dans les confréries « établies sous son vocable » ainsi que dans l’art chrétien.
Les Frères supérieurs encouragent la diffusion du culte de saint Joseph. Il se répand dans toutes les maisons de l’Institut s’exprimant par des invocations (Saint Joseph, notre bien-aimé patron, priez pour nous), des liturgies, une littérature spirituelle, une iconographie et tout particulièrment une statuaire. Celle-ci marque encore l’architecture de bon nombre d’établissements lasalliens à travers le monde dont le nom évoque fréquemment celui qui est tout à la fois le saint patron de l’Institut et, depuis 1870, celui de l’Église universelle.
Le rôle important que tient l’Institut dans la diffusion de son culte est illustré par la fondation par l’abbé J.A. Claverie (1820-1891), aumônier des Frères, et avec leur soutien, de l’Archiconfrérie de Saint-Joseph de Beauvais en 1859, appelée à rayonner dans le monde entier via Le messager de Saint-Joseph, sa revue périodique.
Son siège est toujours situé dans l’ancienne chapelle du pensionnat Saint-Joseph.
On y invoque toujours le patron de la jeunesse chrétienne, le restaurateur de l’ordre social, le refuge assuré dans les angoisses, et l’avocat des causes désespérées.
Pourquoi a-t-il fallu, Joseph
Que ton enfant, cet innocent
Ait eu ces étranges idées
Qui ont tant fait pleurer Marie ?
(G. Moustaki, « Joseph »)
Les réformes conciliaires des années 1960 ont épuré les offices et les calendriers liturgiques. Notre époque contemporaine sollicite de façon renouvelée et multiforme la médiation de saint Joseph.
En lui, les éducateurs peuvent trouver un modèle à imiter :
savoir s’effacer,
favoriser l’épanouissement de l’enfant confié à ses soins,
« veiller » attentivement sur lui,
lui montrer comment vivre et comment travailler,
le laisser obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes…
Bruno Mellet