Frère Marie-Victorin (1885-1944), Frère des Écoles chrétiennes, a été un
infatigable botaniste, auteur de la Flore laurentienne (flore d'une partie de la vallée du Saint-Laurent,
Québec).
Conrad Kirouac est né à Kingsley Falls, au Canada en 1885. Rentré dans l’Institut
des Frères des Écoles chrétiennes le 15 août 1901, il a reçu le nom de Frère Marie-Victorin.
Il a enseigné au collège de Longueuil dès 1904.
À cette époque, il fait la connaissance de Frères d’origine française, expulsés de France :
La collaboration avec le Frère Quadrat-Léon durera une quarantaine d’années et donnera lieu à des échanges de correspondance, à des projets et des voyages à Cuba.
(Le Frère Quadrat-Léon est spécialiste de la flore antillaise, auteur de la Flora de Cuba, en 5 volumes, en collaboration avec le Frère Henri Liogier, et des Itinéraires botaniques dans l'île de Cuba avec le Frère Marie-Victorin.)
Frère Rolland-Germain demeurera définitivement au Canada et il a été pendant 40 ans ami et collaborateur du Frère Marie-Victorin, qui le traite parfois comme un personnel technique dont il attend efficacité et rapidité.
À partir de 1905, les deux Frères étudient la botanique et herborisent ensemble. En mai 1904, Marie-Victorin commence à rédiger un document conservé aux Archives des Frères des Écoles chrétiennes du District du Canada francophone, et qu’on retrouve dans son journal intime, Mon miroir
➀,
publié en 2004.
C’est un jeune homme de 19 ans qui annonce fièrement :
« Je m’occupe de botanique. J’ai déjà recueilli et classé une douzaine de plantes. Je prendrai l’habitude de consigner la date de leur découverte dans mon journal. J’espère aussi me servir de cette étude pour m’élever dans la connaissance et l’amour du bon maître »
➁.
.
De 1904 à 1920, Marie-Victorin est enseignant au collège de Longueuil ; en 1920, il obtient un poste de professeur de botanique à l’Université de Montréal.
Dès 1904, il organise des sorties et séjours d’herborisation chaque été, d’abord avec quelques confrères, dont Rolland-Germain, puis après 1920, avec des collègues ou étudiants, dont Jules Brunel.
À partir de 1908, Frère Marie-Victorin commence ses publications scientifiques, en particulier dans Le naturaliste canadien, revue fondée en 1868 par l’abbé Léon Provancher (1820-1892) ➂ et dirigée par l’abbé Huard (1853-1929).
Les premières publications de Marie-Victorin sont peu favorables à l’évolution darwinienne. Mais tout change à l’occasion du voyage en Europe et en Afrique et des diverses rencontres que fait alors Marie-Victorin, ainsi que du fait d’une nouvelle approche botanique.
Le 16 mai 1929, Frère Marie-Victorin quitte Montréal pour Québec et le lendemain soir, il s’embarque à bord de l’Aurania.
Le 25 mai, il est à Plymouth. Puis, c’est la France, l’Espagne, les Canaries et, le 2 juillet, le début de la traversée de l’Atlantique en bateau jusqu’à Capetown. C’est à ce moment, à partir du 4 juillet, que vont se dérouler les conversations avec l’abbé Breuil, lui aussi du voyage :
« Aujourd’hui, une longue conversation avec l’abbé Breuil. Il me donne des précisions sur le P. Teilhard de Chardin et me raconte l’histoire de ce petit mémoire préparé à six copies et traitant du péché originel. L’une de ces copies, on ne sait comment, est allé tout de suite au général des Jésuites et il s’en est suivi le retrait du P. Teilhard de l’Institut catholique de Paris. Il y a d’ailleurs eu, m’apprend Breuil, une petite conspiration pour dénoncer à Rome, comme moderniste, le groupe de paléontologistes que forment Teilhard, Obermaier et Breuil »
➃.
L'abbé Breuil évoque alors différentes questions touchant à l’interprétation de la Bible : la question de « la profondeur des
temps » qui semble faire défaut, « la grande probabilité scientifique de la polygenèse » et les difficultés que cela soulève sur les
questions du péché originel et de la rédemption. Breuil aurait aussi parlé d’une « théorie naturaliste du péché originel », centrée autour
de « l’usage dévoyé de l’intelligence » qui constituerait, à proprement parler, le péché originel
➄.
L’impossibilité de la lecture très littéraliste de la Bible que certains pratiquaient encore à l’époque est mise en pleine lumière. « Breuil a
une théorie très ingénieuse selon laquelle la Genèse aurait une valeur symbolique »
➅.
Les deux compères montrent une ouverture d’esprit semblable et peu commune en 1929, autant sur l’évolution, l’exégèse biblique, ou encore l’œcuménisme. Sur le bateau, ils assistent sans aucun problème à l’office religieux anglican et le 15 juillet, Frère Marie-Victorin note : « Comme le dimanche précédent, l’abbé et moi avons assisté au service anglican. Il n’y rien dans ces services qui puissent froisser la foi d’un catholique romain. On y prie même pour la réunion de toutes les Églises chrétiennes » ➆.
Le 9 juillet, Marie-Victorin écrit au Frère directeur de sa communauté :
« Sur le bateau où je suis en route pour le Cap, j’ai trouvé bien agréable compagnie. D’abord, les
principaux botanistes de l’Angleterre sont ici, puis Sir Robert Falconer, président de l’Université de Toronto
➇.
avec qui je fais un bout de causette chaque jour, et surtout, le célèbre abbé Breuil, créateur de la préhistoire, et qui est
l’invité au Congrès du gouvernement sud-africain. C’est un homme extrêmement instruit, extrêmement large d’idées (précisément parce qu’il est
très instruit) ; je cause avec lui de longues heures chaque jour… »
➈.
Pendant tout le voyage à Sainte-Hélène et en Afrique du Sud, on trouve des descriptions botaniques. La visite de l’île Sainte-Hélène est consacrée à la flore locale. Chaque jardin botanique ou chaque formation végétale spécifique rencontrés au cours du voyage, donne lieu au même type de description. Au Cap, on retrouve des plantes déjà rencontrées à Sainte-Hélène. Il serait trop long d’évoquer les descriptions de la flore australe données par Marie-Victorin, mais on doit noter qu’elles impliquent à la fois la morphologie des plantes, des éléments d’anatomie et de physiologie, des considérations sur l’écologie des formations végétales et milieux visités.
L’évolution est aussi convoquée, et le 24 juillet 1929, Frère Marie-Victorin donne sa conférence intitulée « Some evidences of evolution in the Flora of Northeastern America », qui fera l’objet d’une publication dans The Journal of Botany, en juin 1930.
À ce moment, il est donc bien acquis à une vision évolutive du monde végétal, et il distingue une évolution discontinue (mutations) d’une évolution continue, sous la pression des facteurs environnementaux. On n’est cependant pas face à un texte purement darwinien
➉.
À la fin du voyage de 1929, les conversations et réflexions explicites sur l’évolution se poursuivront lors du retour en Europe, avec la rencontre du chanoine Grégoire à Louvain.
Frère Olivier Perru
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