Le collège Saint-Nicolas d’Igny a récemment laissé en dépôt aux Archives lasalliennes de Lyon un ensemble d’instruments scientifiques témoins de la pédagogie des sciences pratiquée à la charnière du XIXe et XXe siècle. Il est intéressant d’en présenter quelques-uns mis en résonnance avec les manuels scolaires édités par les Frères sur cette même période héritière de l’âge d’or de la vulgarisation scientifique.
Le laboratoire de physique du pensionnat Saint-Louis de Saint-Étienne, vers 1900.
Les phénomènes scientifiques s'offrent en spectacle... avant d'aborder les modélisations mathématiques détaillées dans les manuels scolaires, qui prendront de plus en plus d'importance au fil du XXe siècle.
Le chapitre sur l’acoustique est le plus démonstratif, réputé récréatif, musical et intuitif, faisant appel à ce qui est le plus familier au public : parler, chanter, souffler dans un conduit, faire vibrer des cordes ou des membranes, entendre le tonnerre ou l’écho, etc.
Leçon d'acoustique au pensionnat Saint-Louis de Saint-Étienne en 1900.
Le Frère reproduit le geste exprimental schématisé dans l'édition des Notions de Physique de 1888 et qu'on retrouve encore dans les
éditions de Physique en 1950.
Une soufflerie à tuyaux se trouve à droite sur la photo.
Le « cortège pédagogique » (expérimentation, illustration, explication, application) peut se mettre en scène, associé aux ouvrages scolaires riches de figures et d’exercices, grâce à des instruments souvent de grandes tailles et aux mécanismes explicatifs simples à appréhender.
La notion de vibration sonore est mise en lumière par de nombreuses démonstrations (cordes et lames vibrantes) ainsi que les phénomènes de transmission (dans l’air, l’eau et le vide) et de réflexions (miroirs sphériques). L’étude du son est le plus souvent encadrée par les chapitres sur les lois de l’optique et la modélisation mathématique des phénomènes vibratoires.
Plus remarquable est le développement de l’étude des tuyaux sonores qui peut donner lieu à des chapitres entiers associés à la présentation des notions d’intervalles musicaux et d’harmoniques. Les exercices faisant varier longueur et types de tuyaux sont « incontournables ».
De ce domaine d’étude fort ancien (Pythagore, VIe siècle avant J.-C.) où les notions de hauteur, d’intensité et de timbre s’affinent peu à peu, émerge la notion de fréquence sonore (dans son acception moderne) au XVIIe siècle (Galilée, Mersenne).
Le dépôt du collège d’Igny contient un curieux appareil destiné à la mesure de la fréquence et qui déroute bien des enseignants de nos jours. Ce dernier a pourtant connu ses heures de gloire durant presque un siècle, puisque, inventé en 1819, il illustre encore les leçons d’acoustique dans les éditions de 1945 : il s’agit de la Sirène de Cagniard-Latour ➀.
Connectée à un soufflet, la sirène émet un son dont la fréquence peut être évaluée par la rotation d’un disque muni d’un nombre de trous connu, dont le nombre de tours est donné par le tachymètre (compteur) qui le surmonte. Un chronomètre évalue la durée.
Mise à l’unisson d’une autre source sonore, la sirène peut être utilisée comme fréquencemètre avec un résultat plus ou moins précis selon l’oreille de l’expérimentateur et la stabilité du son obtenu. Si la compacité et l’ingéniosité du mécanisme parent l’instrument de vertus pédagogiques certaines, l’approximation du résultat et le bruit (proche des sirènes d’alarme !) en présentent les principaux inconvénients. Par ailleurs, le mode de calcul de la fréquence qu’il ordonne fait de la sirène une mine pour ces problèmes « apéritifs » qui permettent de gagner quelques points aux examens.
La roue mobile est percée de buses biseautées qui entraînent sa rotation quand un flux d'air (ou d'eau) est injecté à forte pression par le pied. L'axe est muni d'une vis sans fin qui fait tourner le compteur. L'ensemble peut produire un puissant son de sirène d'alerte ! Réglé à l'unisson (et à l'oreille) d'une autre source sonore, on peut en déduire sa fréquence approximative à l'aide d'un chronomètre (nombre de tours, de trous, temps). La compacité de l'appareil explique en partie sa longévité dans les programmes scolaires, malgré ses défauts.
Le principe du disque denté ou perforé produisant un son par mise en vibration d’une lame ou insufflation d’air est « vieux comme le monde ». La sirène (car elle produit des sons sous l’eau) a pu s’inspirer de la dynamique des inventions de ses contemporains, comme les roues dentées de Savart (1791-1841), puis s’est déclinée en d’autres sirènes (disque perforé tournant) : Seebeck (1805-1849), HW Dove en 1840, H. Helmholtz en 1862, R. Koenig en 1867, pour les plus connues.
L’idée de graver les vibrations a une origine lointaine, qu’on peut faire remonter au moins à T. Young vers 1807, qui inscrit la trace des vibrations d’un diapason sur un cylindre tournant. La « méthode graphique » est présenté en parallèle avec la « méthode de l’unisson » (la sirène) dans les manuels des années 1890 et la supplante dans les éditions des années 1950. L’invention de l’oscillographe en 1893, puis de l’oscilloscope en 1897, ramèneront peu à peu ces méthodes au rang de curiosités historiques.
Dans son désir de comprendre le mécanisme de la hauteur d’un son, la science a déployé toutes sortes d’approches pour compter le nombre de vibrations de façon mécanique, visuelle ou électronique. En pédagogie des sciences, un détour par le récit historique est un complément utile pour humaniser une matière scolaire devenue souvent très abstraite.
Bruno Mellet
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