Ce document manuscrit, de 51 pages, rédigé par Frère Arsène, débute le 26 juin 1906, à bord du bateau et se termine le 23 juillet à Puebla, lieu de destination.
Il est complété par une lettre de Puebla datée du 31 octobre 1906.
Le récit, en lui-même, est très intéressant car il est un témoignage inédit dans un contexte historique compliqué.
Ce document est aussi exceptionnel par le parcours qu’il a suivi pour parvenir à nos Archives.
Ce document a été envoyé en 1906 à la famille du Frère Arsène en France. Il n’en existait pas de copie dans les archives de la congrégation. Il a été remis par le biais d’une assistante sociale au Frère directeur de la communauté d'Agen en 1991. L’assistante sociale a servi d’intermédiaire entre les Frères et la donatrice, membre de la famille de ce Frère, qui a voulu rester anonyme.
Situation fort peu commune pour la récupération d’un tel document mais initiative très heureuse pour les Archives de la congrégation, qui se sont empressées de faire deux copies dactylographiées, par mesure de sécurité.
Le récit débute en juin 1906, près de deux ans après la loi du 7 juillet 1904 qui interdit aux congrégations religieuses d’enseigner.
Les Frères ont déjà vu plusieurs de leurs établissements fermer et ils ne peuvent pas rester en France pour continuer leur mission.
Seule solution pour conserver leurs vœux et leur habit : l’exil.
Pour les œuvres à proximité des frontières, l’expatriation n’est pas très lointaine. La Maison-Mère quitte d’ailleurs Paris pour Lembecq-les-Hal en Belgique dès 1905. Pour les autres Frères, l’exil est plus lointain… Les trois Frères présents dans le récit partent de Clermont-Ferrand vers l’Espagne, lieu de départ de leur navire pour le Mexique.
Le récit du Frère Arsène raconte la vie de trois Frères quittant la France pour le Mexique.
Dans ce voyage, il y a Arsène Gustave Joseph Brouard, en religion Frère Gerfroy-Arsène. Il est né à Saint-Jean-de-Braye dans le Loiret, le 19 mars 1867. Il entre au noviciat des Frères des Écoles chrétiennes à Paris en 1895 puis fait son scolasticat à Montferrand et enseigne à Aurillac. En 1906, il quitte la France pour le Mexique où il est employé à l’école de Puebla. Il continue sa vie en Amérique latine puis décède en mai 1938 à Santa Fe (USA).
Le deuxième, dit "Frère Nicolas", est Adrien Destruel, en religion Frère Adelme-Nicolas.
Il est né à Sainte-Colombe dans le Lot, le 19 mai 1861. Il entre au noviciat de Paris en 1876 puis est employé dans différentes écoles parisiennes avant d’aller à Clermont-Ferrand et de partir pour Puebla. Il reste au Mexique de 1906 à 1920 et revient en France. Il meurt à Athis-Mons en 1926.
Ces deux Frères sont des botanistes reconnus.
Ils sont les principaux collecteurs de l’herbier du Mexique du prince Roland Bonaparte conservé à l’université Louis Pasteur à Strasbourg.
Quant au troisième Frère, Frère Adrien « qui s’appelle Francisque », il n’a pas pu être identifié.
Magali Devif
Quelle est notre vie à bord ?
« Jusqu’à présent elle n’est pas des mieux organisées, nous ne réglerons le tout que dans l’Océan.
Le matin, nous nous levons pour assister à la messe dans le salon des Premières. Les Pères en disent une ou deux et le chapelain une autre. Le reste du temps sur le pont. À 6 h, petit-déjeuner : café noir, thé ou chocolat avec des tartines de pain et du beurre. À 10 h et 11 h déjeuner ; nous sommes de la table de 11 h. Il y a toujours quatre plats, entremets, desserts, fruits, bon vin ½ bouteille, café. À 3 h : rafraichissement : eau d’orange, de citron et glace. À 5 et 6 h : dîner ; nous y allons à 6 h : soupe, 4 plats, entremets, vin et café. À 9 h ½ rafraichissement : café ou thé puis au lit !
Jusqu’à présent, sauf une ou deux fois, nous sommes au lit avant. Comment se couche-t-on ? Nous sommes trois dans une cabine de 4 lits qui pourrait au besoin contenir 5 personnes à cause d’un sofa qui servirait de lit. On est placé comme les poires dans un fruitier. Ce ne sont pas des hamacs. Nous avons logé le gros Nicolas au rez-de-chaussée à 25 cm du plancher ; dans le rayon au-dessus se trouve le Frère Adrien. Je suis en face, avec le hublot ou fenêtre à verre rond épais qui ouvre sur la mer et qui est juste à la hauteur de ma lune qui le bouche quand il fait du vent. Le lit, sous moi, est occupé par les valises.
Dans notre cabine, il n’y a plus de place pour une malle, même petite, les nôtres sont donc restées dans
la cale, et nous sommes sans chemise ; pour changer il faudra attendre la navigation en plein océan !... »