Dans une communauté, comment voter sans isoloir ?

Mai 2015

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Les Ordres religieux, a-t-on écrit, ont inventé bien des pratiques de la démocratie représentative, et tout particulièrement le vote secret et les modes de désignation des élus aux Assemblées délibérantes.

On connaît l’expression : "avoir voix au chapitre".

Son origine est le droit de prendre la parole et de voter lors des réunions des membres du monastère, dans la salle justement appelée "le Chapitre".

Et ceux qui votent sont appelés les "vocaux".

Pour recueillir les votes, l’usage d’une urne en bois a été adopté depuis longtemps. Il assure la dignité et la liberté, alors qu’un vote à main levée aurait pu faire pression sur les "vocaux".

Chez les Frères

  • qui a le droit de vote ?
  • quand et comment s’exerce-t-il ?

La Règle du gouvernement de l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes, dans son édition de 1947, appelle encore « vocaux » ceux qui ont le droit de voter, par exemple pour élire les Frères délégués au Chapitre général.

"Chacun des « vocaux » s’abstiendra de faire connaître le choix qu’il a fait." (VII Les Chapitres généraux, 15).

Ces électeurs sont les "Frères Profès de vœux perpétuels" - jusqu’en 1923, on précisait  "Profès d’école", car les "Frères servants" (Frères du temporel), ne faisant pas le vœu d’enseigner gratuitement, n’avaient pas voix au chapitre, même s’ils étaient profès perpétuels !

Seuls les Profès perpétuels émettent un vote pour l’admission de Frères aux vœux temporaires ou perpétuels, d’abord dans leur communauté, puis au niveau du district.

Au Chapitre des vœux du district, les demandes sont étudiées une par une : le Président de ce Chapitre fera connaître, pour chaque Frère, "les votes et les observations du procès-verbal de sa Communauté. Les Vocaux diront ensuite leur sentiment motivé, les plus jeunes parlant les premiers… On procédera au scrutin, avec boules blanches et boules noires. Ce vote est seulement consultatif." (Règle du gouvernement, V Les vœux, 10). Consultatif pour les vœux perpétuels, car ce vote doit être confirmé par le Frère Supérieur général : il s’agit en effet de l’admission définitive des membres de l’Institut.

L’urne et des haricots

Pourquoi "boules blanches et boules noires" ?

Si l’on distribuait des bulletins vierges où chacun inscrirait Oui ou Non (ce qui suppose écritoire, plume et encre), le risque demeurerait de reconnaître l’écriture lors du dépouillement. Une urne et des haricots
Il y a plus sûr et plus simple : chacun dispose, pour chaque vote, de deux haricots secs : un blanc (pour Oui) et un noir (Non). Cela ne s’applique qu’aux votes "binaires", c’est-à-dire avec seulement Oui ou Non (ce procédé ne vaudrait pas pour une élection).

Une urne en bois, munie d’un tiroir, permet à chacun de laisser tomber de sa main fermée l’un de ses haricots (il n’y a pas de "vote blanc"), et il suffit d’ouvrir le tiroir à la fin du vote pour recueillir les votes. On vérifie le total puis le résultat est annoncé et noté dans le compte-rendu.

Élection du prieur Chartreux

(L'élection du Prieur par les moines Chartreux :
l'urne est sur la table au centre de l'assemblée...)

Pour une Assemblée plus importante, on trouve des urnes plus grandes ; ou alors l’urne est munie d’un second tiroir avec des haricots de réserve pour les votes successifs.

Nos archives en conservent plusieurs, de tailles différentes.

Vers des votes pondérés

Le tiroir des haricotsPour des cas parfois douteux, notamment lors d’un vote qui doit être sanctionné par l’autorité supérieure, par exemple pour engager une dépense importante, ou pour admettre aux vœux un Frère, l’un des membres du Chapitre peut demander de sortir du vote seulement "binaire" pour permettre de donner un avis plus nuancé.

Chacun reçoit alors 3 haricots de chaque sorte et s’engage à voter avec les 3.

Entre le Oui (3 blancs) et le Non (3 noirs), il y a alors :

- plutôt Oui (2 blancs, 1 noir) et
- plutôt Non (1 blanc, 2 noirs).

L’autorité qui doit confirmer le vote, ou demander de le reprendre, est ainsi assurée de recevoir un avis libre en même temps que suffisamment nuancé.

Des urnes pour recueillir des bulletins d’élection

Pour les curieux, signalons l’existence d’un mot rare pour désigner les urnes destinées à recueillir les bulletins d’élection.

Lors du Chapitre général tenu à Rome en 1956, pour procéder à l’élection du Supérieur général, il y a passage dans l’isoloir avant le vote individuel. Pendant ce temps, le premier scrutateur se rend à l’infirmerie avec un autre Frère "recueillir le bulletin d’un capitulant malade. À la fin du vote, les scrutateurs renversent les capses : il y a bien les 100 bulletins de vote requis". (Circulaire n° 354, 16 juillet 1956, p.14-15).

Une urne simple

Peu de dictionnaires expliquent le mot capse, vocable provenant des archéologues. Le mot a désigné une boîte utilisée par les Romains pour protéger des objets précieux (les manuscrits...)

On peut aussi le trouver au sens de la Circulaire n° 354 dans le Dictionnaire de Trévoux (1743) qui renvoie à un usage de la Sorbonne : la capse est une urne pour les scrutins.

Le dictionnaire Littré (1872) le donne vieilli. On le trouve aujourd’hui, désuet, dans Wiktionnaire.

Le stylo à bille puis le vote électronique ont fait disparaître les urnes en bois : pour des élections, des urnes en cartons sont plus faciles à confectionner et à manier. Mais le charme des objets anciens nous remet en mémoire certaines pratiques démocratiques des communautés religieuses.

Frère Alain Houry

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